Ces enfants d’immigrés qui réussissent

Résumé
Le titre de cet écrit peut surprendre tant l’échec scolaire est dans l’esprit de beaucoup de monde, enseignants, parents et jusqu’à certains jeunes eux-mêmes, consubstantiel de la condition des enfants d’immigrés. Comme nous le verrons, au delà des enfants, c’est le mythe de l’échec de l’intégration qui est en jeu. Quand, il y’a un peu moins de quatre décennies, nous avions voulu étudier la question des enfants d’immigrés à l’école française, nous avions été confrontés à une littérature centrée uniquement autour de l’échec, soit de ces enfants soit de l’école face à eux.
L’échec semblait leur coller à la peau comme une fatalité. Nous avons alors voulu inverser le problème afin d’en comprendre les mécanismes au lieu de nous contenter des sempiternels inventaires de tout ce qui, faute d’expliquer l’échec, risquait de le justifier. Nous avons cherché dans deux grandes villes de France, Marseille et Grenoble, des enfants d’immigrés qui réussissaient à l’école française et qui, ainsi faisaient mentir et les déterministes et la fatalité qui leur était associée. Nous avons d’abord défini ce que nous entendions par réussite scolaire et cela s’est résumé pour nous  au fait pour un enfant de fréquenter la classe de son âge, compte non tenu de ses performances. La recherche tourna rapidement à la quête d’oiseaux rares.
Les deux échantillons constitués avec l’aide des familles et des enseignants nous permirent de comprendre que la réussite ou l’échec scolaire étaient, au- delà des conditions de vie sociales les fruits de nombreux facteurs en interaction constante. L’étude des  biographies des sujets et notamment la genèse de la migration des parents, permirent de dégager des lignes de réflexion pour comprendre les mécanismes, au demeurant complexes qui gèrent et déterminent le sort scolaire et plus tard social des jeunes rencontrés. Ce sont les conclusions de ce travail qui s’est prolongé par une longue pratique professionnelle de psychologue et de responsables d’institutions de protection de l’enfance en difficulté,  à Paris et dans la région parisienne, enrichie par l’organisation (ou la participation à) de nombreux colloques sur le sujet, que nous voudrions ici soumettre au débat.
1 – L’équilibre nécessaire
Les enfants d’immigrés qui réussissent le mieux à l’école française sont ceux qui sont le mieux “en règle” avec leur identité double. Ce sont ceux qui ne se sont pas soumis à l’injonction ambiante de se renier pour s’intégrer ou, comme nous l’avons dit dans nos écrits : de se laisser au vestiaire pour entrer dans la société “d’accueil”. Les guillemets s’imposent dans la mesure où, pour beaucoup, notamment ceux qui sont nés dans le pays de la migration des parents, se trouvent déjà dans leur société d’origine. Cet aspect des choses nous semble très important à retenir lorsqu’on parle des enfants d’immigrés en cela qu’il y a des différences en fonction du pays de naissance et de la genèse de la migration familiale et individuelle.
De fait, et cela se conjugue de manières très diverses, selon les individus et leur famille, réussissent  ceux qui ont une vision cohérente et claire de la genèse migratoire dont ils sont le fruit et ne souffrent pas d’une représentation morcelée d’eux-mêmes et de leur histoire.
2 – Identité et identifications
La construction d’une identité claire est le fruit de combinaisons complexes de plusieurs facteurs. La transmission familiale En matière de migration et d’identité, les parents sont des  “passeurs” si l’on peut se permettre l’expression entre la culture d’où l’on vient et celle où l’on vit. C’est par eux que le processus est fait d’une continuité cohérente ou bien de ruptures déracinantes. Contrairement à ce que l’on peut penser et même aux schémas et représentations que nous en avions à l’origine, les enfants d’immigrés qui réussissent à l’école française ne sont pas forcément ceux dont les parents ont une bonne maîtrise de la culture du pays d’accueil mais ceux qui arrivent à transmettre à leurs enfants une vision claire d’où ils viennent, ce dont les enfants sont la continuité. L’identité nait et se construit bien dans un sentiment clair d’appartenance et de filiation. C’est en cela qu’elle est une clé essentielle pour l’intégration. Les parents transmettent des savoirs (savoir être, savoir faire)  et non pas des connaissances. Ils transmettent surtout des désirs qui sont autant d’énergies qui portent l’enfant et l’accompagnent dans un monde, celui du savoir qui n’est pas forcément familier aux parents. Que l’on songe aux générations d’analphabètes qui ont eu des enfants très savants.  C’est que l’accès aux savoirs est le fruit d’un processus complexe dans lequel la part émotionnelle est très importante. L’utilisation des savoir acquis relève également de la palette plus ou moins riche des moyens d’expression de soi et s’enracine de fait dans l’humus des relations premières. C’est dans ce contexte que le rapport de la langue maternelle, même oubliée,  est une clé pour l’accès à d’autres langues et moyens d’expression. C’est ainsi que nous comprenons le constat que nous avons fait que réussissent à l’école française les enfants qui gardé les liens les plus étroits avec la culture des parents. Autrement dit, réussissent le mieux ceux qui s’acceptent le plus dans un contexte sociologique et culturel, fruit d’une histoire marquée par un rapport de domination politique et culturelle. Dans le contexte particulier de l’immigration, réussir, c’est arriver à vaincre et à dépasser les déterministes et contradictions liées au passage d’une culture à l’autre sans rien y perdre de soi, bien au contraire.
La place du père
Nous avons tout au long de notre pratique professionnelle rencontré un phénomène très particulier dans les familles en difficulté: celui de la dépression des pères. Il s’agissait généralement d’hommes qui avaient un fort désir d’intégration et qui désignaient, consciemment ou non, le modèle d’accueil comme lieu d’identification à l’exclusion d’eux-mêmes. A un père à qui nous demandions comment cela se passait pour lui dans son lieu de travail, nous a répondu, devant ses enfants et sa femme: “Je suis dans un excellent atelier. Il n’y a pas d’arabes.” Ce phénomène d’auto-dévaluation chez certains parents indiquait aux enfants d’autres modèles d’identification qu’eux-mêmes provoquant une démission de leur rôle d’initiateurs socio-culturels, source de la dévalorisation de la parole du père, des valeurs portées par lui, cela pouvant aller pour certains jusqu’à la remise en cause de la loi du père.
Où en sommes-nous de nos jours?
Après une quarantaine d’années depuis ce que l’on appelé les regroupements familiaux, deux constats s’imposent: Un phénomène de sur-revendication identitaire Ce phénomène est souvent accompagné d’une démarche d’auto-exclusion active chez ceux qui sont le plus en difficultés. Ce phénomène est une réaction aux décennies d’injonctions identitaires paradoxales qui pourraient se résumer par la formule volontairement lapidaire que nous utilisons ici : « Ne sois plus pour être ! ».  Après avoir tout tenté pour se renier pour constater que cela n’était pas payant, les jeunes les plus en difficultés se sont d’une certaine manière « accrochés aux branches » d’une vision excluante de l’identité. C’est en réalité la même histoire et le même débat qui en est à une phase différente.
Le second constat nuance et de beaucoup le premier et lui coexiste :
L’augmentation significative des enfants issus de l’immigration qui réussissent à l’école française. Il a été même constaté qu’après le cap de la troisième et à classe sociale comparable, les enfants d’immigrés réussissaient aussi bien que leurs camarades français avec probablement une meilleure réussite chez les filles que chez les garçons.
Cela nous amène, à tout le moins à nuancer les préjugés sur le caractère quasi inéluctable de l’échec de ces enfants.

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