Les wahhabistes et les frèristes sont de retour aux manettes

Gilbert Dupont

Armée belge, formation des imams, Grande Mosquée : Ramadan Gjanaj, politologue (ULB) musulman, alerte sur le retour des tendances intégristes

L’ homme que nous rencontrons, Rama- dan Gjanaj, est depuis 2020 le conseiller de Mehmet Üstün, président de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, celui-là même qui a perdu en 2023 sa reconnaissance en tant qu’organe représentatif du culte musulman, le ministre Van Quickenborne ayant désigné à sa place une ASBL appelée Conseil Musulman de Belgique.
Politologue de formation à l’ULB, Ramadan Gjanaj tire la sonnette.

Pour lui, “l’intervention du ministre dans les affaires internes du culte musulman a créé en Belique un boulevard pour toutes les mouvances wahhabis- tes, salafistes et frèristes (Frères Musulmans, ndlr)”, ces tendances fondamentalistes qu’épinglait la Commis- sion parlementaire d’enquête sur les attentats de 2016.

Pour Ramadan Gjanaj, les intégristes sont de retour en force.

Diriez-vous qu’il y a une tentative de prise en main du culte musulman par les frèristes et les wahhabistes ?

“Depuis 2014 et jusqu’à 2020, l’Exécutif des Musul- mans de Belgique avait réussi à minorer voire éradi- quer l’influence des deux courants.
Malheureusement, la sortie du ministre en 2020 – quand M. Van Quickenborne a affirmé que ‘le culte musulman était sous influence étrangère’, allégation pour laquelle je rappelle qu’il a été condamné par le tribunal de première instance de Bruxelles  a terni l’image de l’Exécutif des Musulmans de Belgique et ouvert la voie aux deux courants frèristes et wahhabistes qui désormais

collaborent. L’aboutissement de cette déstabilisation du culte musulman qui collaborait jusque-là avec la Justice a été la création de cette ASBL Conseil Musulman de Belgique soutenue par la totalité des individus et des groupes frèristes et wahhabistes alors que ces derniers représentent à peine 33 % des mosquées marocaines en Flandre et 38 % des mosquées marocaines à Bruxelles.
J’ajoute que beaucoup de ces mosquées ont vu leur demande de reconnaissance rejetée par la Sûreté de l’État, certaines pour motif de soutien par exemple au Hamas.
Le résultat est qu’à cause des errements inconséquents de l’ancien ministre Van Quickenborne, la communauté musulmane est divisée entre l’Exécutif des Musulmans de Belgique, seul organe élu de la communauté, et cette ASBL composée d’individus non élus et non représentatifs. La communauté musulmane a, dans son immense majorité, condamné la création de ce Conseil musulman de Belgique.”

Quels seraient, selon vous, les objectifs poursuivis par les deux tendances ?

“Personnellement, je ne crois pas que le Conseil Musulman de Belgique les intéresse en tant qu’organe représentatif du culte musulman.
L’objectif à terme est d’imposer aux musulmans de Belgique leur propre vision et leur propre lecture de l’islam à travers la prise en main des vecteurs clés. Pour commencer, à la Défense où ils cherchent déjà à prendre en main l’Aumônerie militaire en y plaçant leurs pions au sein de l’armée.

Il y a déjà de fortes pressions de l’ASBL Conseil Musulman de Belgique pour désigner des personnes au passé frèriste à deux postes de l’Aumônerie militaire.

Les autorités militaires l’ont bien compris et ont déjà émis des réserves à ce propos.”

Ensuite, selon vous ?

“L’objectif suivant sera la prise de contrôle de la formation des futurs imams belges.

Après les attentats, la commission d’enquête parlementaire avait recommandé la création d’un institut de formation des futurs imams. C’est ainsi qu’en parfaite collaboration avec le ministre de la Justice de l’époque Koen Geens, l’Exécutif des Musulmans de Belgique a contribué à la création de l’Académie de formation et de recherches en études islamiques (AFOR). Mais en bloquant les financements prévus pour le volet religieux de la formation, son successeur Vincent Van Quickenborne a délibérément saboté le travail de l’AFOR et donc la formation des imams telle que recommandée par la commission d’enquête sur les attentats.
Aujourd’hui, d’autres projets existent de fonder un nouvel institut de formation, ce qui devrait déjà alerter les autorités. Quand on sait que la majeure partie de l’ASBL Conseil Musulman de Belgique est soutenue par la tendance wahhabiste et frèriste, nous avons de fortes craintes pour l’avenir des cadres qui seront chargés de diriger le culte musulman dans notre pays dans les années à venir.”

 

Et la Grande Mosquée du Cinquantenaire ?

“C’est le troisième objectif, clair à mes yeux : la reprise en main de la Grande Mosquée de Bruxelles. Suite aux attentats, le gouvernement avait décidé de retirer la concession qui la liait aux Saoudiens. À la demande du gouvernement de l’époque, la gestion de cette mosquée emblématique et hautement symbolique pour la communauté musulmane a été confiée à l’Exécutif des Musulmans de Belgique qui a veillé à éloigner les tendances frèristes et wahhabistes.
La situation a évolué. Nous voyons que d’anciens pontes ayant travaillé pour la Ligue Islamique Mondiale font tout pour reprendre le contrôle de la Grande Mosquée via l’ASBL Conseil des Musulmans de Belgique que Van Quickenborne a commis l’erreur de créer et reconnaître.
Il est urgent d’ouvrir les yeux et revenir à la raison. L’immense majorité de la communauté musulmane ne demande qu’à pratiquer les rites religieux en accord avec les lois, à l’instar des autres cultes. Mais une minorité agissante et bruyante a pu déjà s’emparer, à travers l’ASBL Conseil des Musulmans de Belgique, du nouvel organe chef du culte.
Le culte musulman n’avait jamais eu de problème en Belgique. En réalité, ceux-ci résultent de querelles internes au sein de la communauté belgo-marocaine.
Les musulmans turcs, pakistanais, albanais et bosniaques hanefis ainsi que les musulmans marocains traditionnels malekis n’exportent aucune vision politique de l’islam comme le font le wahhabisme, le salafisme et le frèrisme des Frères Musulmans.”

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