Quand le régime algérien soutient un projet bidon de «République du Rif»

Sentant le vent tourner dans le dossier du Sahara au détriment de son poulain, le Polisario, le régime algérien tente d’ouvrir un nouveau front en offrant un bureau de représentation, au cœur d’Alger, à un obscur «Parti national rifain». Une énième provocation qui a tout de l’acte désespéré, de la part d’un pouvoir qui a cédé ce qui lui restait de sens de la mesure au profit d’une attitude résolument suicidaire.

Le décor est d’une rare tristesse et les personnages ont beau se présenter sous leur meilleur jour, l’air sérieux et l’attitude solennelle, tout sonne faux, surjoué et quelque peu sordide. La «cérémonie» a eu lieu le samedi 2 mars, dans une villa style colonial, aux murs d’un blanc immaculé ceints de verdure, au cœur de la capitale Alger. C’est le «local» offert par le régime algérien à un groupuscule de néo-séparatistes rifains répondant au nom de «Parti national rifain», pour en faire le bureau de représentation de «la République du Rif» en Algérie.

Pour l’occasion, ils n’étaient pas plus de 5 «représentants», des ressortissants apparemment originaires du Rif marocain et résidant à l’étranger. Au programme: des portraits de feu Abdelkrim El-Khattabi, des fanions en grand nombre et de toutes les tailles d’un drapeau censé correspondre à la «nouvelle» entité, une carte du nouveau territoire, qui englobe à peu près toute la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, un hymne improvisé pour la circonstance et des discours. Beaucoup de discours, dont la particularité est de chanter la gloire… de l’Algérie, et sans qu’aucun ne soit prononcé en rifain. Décidément, les langues officielles de la «République» flambant neuf, seront le français, le flamand et l’arabe, un peu.
Le ridicule de la scène n’a d’égal que l’extrême gravité de l’acte. Après avoir créé, nourri, hébergé, financé, armé le Polisario et porté sa voix pour amputer le Maroc de sa partie sud, l’Algérie signe ainsi l’acte fondateur d’un nouvel essai: faire le lit d’un nouveau front séparatiste, visant cette fois le Nord du pays. Un front constitué par une poignée d’individus vivant entre la Belgique et les Pays-Bas, ayant pour la plupart des liens avec les réseaux de trafic de drogue et visiblement sans réel background intellectuel ni idéologique. Pris sérieusement, et compte non tenu du caractère ubuesque de la performance, il s’agit là d’un véritable casus belli qui, normalement, appelle une réaction officielle et ferme.

Mais, avant cela, de quoi une telle attitude peut-elle être le nom? Et comment le régime algérien peut-il faire preuve d’une telle légèreté en soutenant ouvertement un projet aussi fantasque? Un projet qui, historiquement, n’a jamais existé dans la réalité, les symboles auxquels il fait référence étant liés à la lutte du Maroc contre l’occupation espagnole dans le Nord. Plus proches de nous, même au plus fort du Hirak du Rif, les seules revendications qui se faisaient entendre étaient strictement de nature économique et sociale.

Quelle mouche a donc piqué le pouvoir algérien, qui brille dernièrement par sa perte totale de self-control, au point de s’accrocher à des chimères pour porter atteinte à l’intégrité territoriale du Royaume? D’autant que la dernière trouvaille du régime ne semble pas susciter d’adhésion, même en interne. «L’ouverture d’un bureau pour la représentation d’un “Parti national rifain” à Alger est la grande surprise en ce début de l’année 2024 qui se terminera, comme on le sait, avec le mandat d’Abdelmadjid Tebboune et l’organisation d’une présidentielle porteuse de beaucoup de craintes pour les décideurs de l’ombre. Une initiative qui suscite pas mal d’interrogations», commente le journaliste, chroniqueur et youtubeur algérien en exil Hichem Aboud dans une déclaration pour Akhbarona Aljalia.

Et de s’interroger sur «le silence des médias officiels et privés algériens. Un silence qui cacherait, sans doute aucun, les divergences existant entre les différentes factions d’un régime dirigé par des services secrets qui n’arrivent pas à accorder leurs violons avec les autres pôles du pouvoir en place».

«Tout comme l’on est en droit de s’interroger sur les véritables motivations ayant amené un régime moribond, qui fait profil bas sur la scène internationale après avoir collectionné les revers, les uns après les autres, pour aller défier la communauté internationale en s’attaquant frontalement à l’intégrité territoriale de son voisin», poursuit notre interlocuteur.

En tout état de cause, le régime algérien semble avoir perdu tout sens de la mesure. Comment peut-on, sinon, dérouler le tapis rouge à un groupuscule dont la date de naissance remonte à 4 mois, et dont le seul fait d’armes est d’avoir brûlé le drapeau marocain sur des places publiques en Europe? Ajoutez à cela le fait que l’un de ses «militants», le dénommé Jaber Ghadioui, est un homme de main de Saïd Chaou, célèbre trafiquant de drogue, qui a ouvertement demandé des armes et un entraînement à Alger sur les réseaux sociaux, et vous avez une idée sur le profil inflammable et criminel des membres de ce «parti».

La question qui s’impose est simple: faut-il que le Maroc rende la pareille, lui qui s’est jusque-là abstenu d’autoriser une représentation au Royaume d’un mouvement à l’ancrage sérieux, à la reconnaissance internationale et au peuple quasi unanimement frondeur au régime, le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK)? Et ce n’est pas faute d’y avoir été invité. Mouvement légitime avec une assise tant historique et géographique que populaire, plusieurs antennes à l’étranger, des marches hebdomadaires dans les grandes capitales européennes et une voix au chapitre dans les grandes institutions internationales comme l’ONU, le MAK ne tarit pas d’éloges sur le Maroc, espérant y disposer d’une représentation en bonne et due forme.

En agissant de la sorte, le régime algérien ouvre la porte à un soutien franc du Maroc au MAK, alors que, jusqu’ici, il ne lui a pas accordé d’appui officiel. La seule fois où Ferhat Mehenni, le charismatique leader du MAK, s’est rendu au Maroc, précisément à Agadir, il avait obtenu un visa… d’une seule semaine.

Et que dire des autres conglomérations et entités de facto autonomes dont l’Algérie est parsemée (Chaouis, Mzabs, Touaregs…)? «L’Algérie en tant qu’État n’existe que depuis 62 ans. Autant dire que l’Algérie française a vécu bien plus longtemps. Sans parler de l’occupation ottomane qui y a duré plus de trois siècles. Ce qui est sûr, c’est qu’en termes de velléités séparatistes, il y a matière en Algérie, car plusieurs régions dans ce pays ont été annexées par la France et ne sont soumises au pouvoir central que grâce à la rente des hydrocarbures», explique un analyste bien au fait de la réalité algérienne.

Pour Hichem Aboud, deux hypothèses peuvent expliquer ce subit élan de solidarité avec les «Rifains» que se découvre l’Algérie. «Si le régime d’Alger croit pouvoir remplacer le Polisario, dont la fin est proche, par ce mouvement séparatiste du Rif marocain qui n’a, jusqu’ici, prouvé aucune adhésion populaire à ses thèses, il a intérêt, sûrement, à réviser ses plans. La donne qui a permis la création du Polisario, en 1975, son armement, son financement et sa promotion à l’échelle internationale n’est plus d’actualité en 2024», dit-il. Et d’ajouter que l’Algérie, elle-même, a perdu son aura des années soixante-dix et ce «phare qui attirait les mouvements révolutionnaires d’antan s’est éteint».

Le pays est traversé par une série de crises, qui se sont exacerbées avec l’éclatement d’une sanglante guerre civile en 1992 et qui culminent, aujourd’hui, avec l’instauration d’un pouvoir qui donne la plus hideuse image de l’Algérie, par l’incarcération de centaines de détenus politiques, l’exil de plusieurs milliers de militants à l’étranger, et par la perte de tous ses appuis à l’étranger. «À moins que cette initiative ne soit destinée à préparer le terrain pour des troubles en Algérie, dans le but d’annuler la présidentielle de décembre prochain», lance-t-il en guise de deuxième possibilité.

«Aujourd’hui, l’Algérie du duo Tebboune-Chengriha est fâchée avec tout le monde. De la Russie, son traditionnel ami, au Congo en passant par la France, l’Espagne, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et le reste des pays arabes. Quand on est aussi mal en point à l’intérieur et à l’extérieur, on ferait mieux de s’occuper de ses propres affaires, plutôt que d’aller chercher des noises au voisin», conclut le chroniqueur.

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