Au Maroc, le soutien à la presse ou l’art délicat de subventionner… les bons élèves

Bouchaib El Bazi

Bruxelles – Le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication marocain a encore frappé. Sous prétexte de soutenir le pluralisme médiatique, il vient de distribuer une nouvelle salve de subventions publiques. Une bouffée d’oxygène bienvenue pour une presse en crise ? Pas tout à fait. Car dans cette loterie institutionnelle, tous les billets ne se valent pas. Mieux vaut avoir un bon carnet d’adresses… ou un passé militant bien rangé dans une vitrine partisane.

Des critères taillés sur mesure… pour les mêmes bénéficiaires

Les journaux indépendants ou fraîchement lancés, pourtant moteurs d’innovation éditoriale, se sont une fois de plus retrouvés hors-jeu. À croire que les critères d’éligibilité ont été conçus pour leur dire poliment , « Merci, mais non merci. »

Entre l’exigence d’un siège social en marbre, un bilan comptable vérifié par une armée de commissaires aux comptes, un effectif complet de journalistes déclarés, une régularité de parution quasi monastique, et une audience « mesurable mais pas trop dérangeante », la marche est trop haute. Sauf, bien sûr, si l’on coche la case magique : appartenance ou proximité politique.

Quand la presse de parti se refait une santé… avec l’argent public

Certaines publications au lectorat aussi confidentiel qu’un rapport d’inspection interne continuent pourtant de recevoir des montants substantiels. Leur principal mérite ? Exister encore, envers et contre toute logique de marché. Elles ne se vendent pas, mais se distribuent, surtout lors des congrès. On les consulte rarement, mais elles “représentent”. Mieux : elles rassurent.

On les appelle parfois, avec une certaine tendresse ironique, les “fossiles éditoriaux subventionnés”. D’autres préfèrent les voir comme des “bulletins de liaison” entre un appareil partisan et des institutions indulgentes. Peu importe, du moment qu’elles restent dans les clous.

La presse émergente ? Invisible au radar administratif

À l’inverse, les jeunes titres qui bousculent les lignes, qui attirent un lectorat nouveau, qui expérimentent des formats modernes et qui posent de vraies questions… sont soigneusement tenus à l’écart. Non pas pour leur manque de sérieux, mais pour leur manque de docilité.

Leur tort ? Ne pas entrer dans les cases. Ne pas appartenir à un réseau. Oser parfois critiquer des zones d’ombre. Rêver d’un journalisme qui ne se contente pas de relayer des communiqués. Bref, des inconscients.

Soutenir, oui… mais pas trop fort

Le ministère, lui, persiste et signe : les critères sont transparents, les appels à candidatures ouverts, et le soutien à la presse « équitable ». Mais dans les coulisses, on sait que certains dossiers passent plus vite que d’autres, et que la notion de “responsabilité éditoriale” est à géométrie variable. Critiquer avec courtoisie, oui. Déranger, non.

Car derrière les chiffres et les formules administratives, une constante demeure , on subventionne ce que l’on comprend, ce que l’on contrôle, ce qui ne risque pas de mordre.

Une politique de soutien à deux vitesses

Ainsi va le soutien public à la presse au Maroc , généreux avec les titres alignés, frileux avec les voix libres.

Une politique qui confond parfois pluralisme avec “multiplication des échos”. Où l’indépendance est tolérée, tant qu’elle reste discrète. Et où les jeunes rédactions apprennent, à leurs dépens, que pour être aidé, il vaut mieux plaire que perturber.

Dans ce contexte, un nouveau slogan s’impose , “Soutiens ton journal toi-même… ou fais-toi un parti politique.”

 

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