Mohamed Toujgani, l’imam qu’on a voulu faire taire… et qui revient par la grande porte

Trois ans d’exil, une réputation salie, une nationalité suspendue comme un abonnement téléphonique, et tout ça pour quoi ? Pour un fantasme sécuritaire, une lubie ministérielle, un coup politique mal ficelé qui aurait pu coûter cher à un homme – s’il n’avait pas eu pour lui un allié rare dans la jungle belge , la justice. L’imam Mohamed Toujgani est rentré à Bruxelles, libre, lavé de toute accusation, accueilli comme un revenant par ceux qui n’ont jamais cru aux histoires de “menace à la sécurité de l’État”. Et pendant que l’aéroport applaudissait discrètement son retour, on aurait aimé entendre les excuses – ou au moins un raclement de gorge – de ceux qui ont signé son expulsion.

Petit rappel des faits , en 2022, les autorités belges, jamais en reste d’un mauvais scénario, décrètent que l’imam de la mosquée Al Khalil – la plus grande de Belgique – représente un danger. Radicalisé. Influencé par l’étranger. Trop marocain pour être belge, trop religieux pour être démocrate, trop discret pour être honnête. On l’expulse sans procès, sans débat public, avec une étiquette collée à la va-vite par des cabinets ministériels plus soucieux de plaire à la droite parano qu’à l’État de droit. Et tout ça pourquoi ? Parce qu’il est conservateur ? Parce qu’il parle arabe à la mosquée ? Ou parce qu’il ne coche pas la case de l’imam “modéré” selon les normes d’un ministre en quête de buzz électoral ?

Mais voilà que la justice – ce vieux dinosaure qu’on disait lent et myope – se réveille. En 2021 déjà, un jugement confirmait qu’il n’y avait aucun obstacle à accorder la nationalité à Mohamed Toujgani, résident depuis 1982. Et en 2025, c’est la Cour de cassation qui scelle l’affaire , non seulement l’imam peut revenir, mais il n’aurait jamais dû partir. Autrement dit , le politique a trahi le droit, et c’est le droit qui a dû réparer.

Dans cette affaire, il y a ceux qui se sont tus, ceux qui ont applaudi l’injustice, et ceux qui ont parlé. Parmi eux, Fouad Ahidar et Ahmed El Khannouss qui ont eu le mérite rare de prendre la parole pour dénoncer une expulsion douteuse, là où d’autres préféraient se planquer derrière les communiqués flous. Il faut le dire clairement , soutenir Toujgani dans ces conditions, c’était risqué, mais c’était juste. Et c’est ce courage-là qui manque cruellement aux politiciens belges qui ont fabriqué cette affaire comme on fabrique une fausse alerte à la bombe , pour faire du bruit, pour faire peur, et pour exister.

Et pendant que certains défendaient Toujgani à contre-courant, d’autres – pourtant issus du même univers religieux – choisissaient la posture du procureur improvisé. C’est ainsi que Noureddine Taouil, lui aussi bien connu en Flandre, est monté au créneau… pour enfoncer la porte déjà fracassée. Sur les ondes des radios flamandes, il n’a pas hésité à présenter Toujgani comme un “imam problématique”, sous-entendant qu’il méritait en partie son expulsion. Plutôt que de défendre un collègue injustement visé par une machine étatique à la dérive, Taouil a préféré surfer sur la vague du soupçon, sans faits ni preuves, juste pour se poser en imam “fréquentable” aux yeux des autorités. Une stratégie de survie médiatique, peut-être. Mais aussi une trahison morale, assurément. Car dans cette affaire, il y avait ceux qui se taisaient, ceux qui parlaient juste… et ceux qui parlaient trop mal.

Aujourd’hui, Mohamed Toujgani est de retour, mais rien ne l’efface , ni l’humiliation, ni les soupçons, ni les trois années passées loin de chez lui, de sa communauté, de sa dignité. Alors oui, il faut l’aider. Pas seulement à retrouver sa place, mais à faire de son cas un précédent. Il faut que plus jamais un ministre de l’intérieur ne puisse jouer avec une vie humaine comme on joue avec un tweet. Il faut que les services de sécurité cessent de confondre conservatisme religieux et complotisme. Et il faut que les responsables politiques qui ont couvert ou initié cette farce rendent des comptes, pas seulement devant l’histoire, mais devant le Parlement.

Car à la fin, ce n’est pas Toujgani qui a abîmé l’image de la Belgique. Ce sont ceux qui ont préféré l’accuser au lieu de l’écouter. Ceux qui ont voulu faire de lui un symbole de ce qu’ils appellent “le danger islamiste”, alors qu’il n’était qu’un imam, avec ses idées, ses sermons, et ses fidèles. Le vrai danger, c’est l’arbitraire. Et ça, malheureusement, ne se combat pas avec une fatwa, mais avec du droit, de la mémoire… et un peu de honte.

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