Adieu le dragon, bonjour le coq : comment l’Algérie a troqué un port chinois contre une tape dans le dos de Macron
Bouchaib El Bazi
Si vous aviez misé sur la Chine pour construire le grand port de Hamdania, vous pouvez ranger vos yuans et reprendre votre ticket de loterie diplomatique. L’Algérie vient de tirer la chasse sur ce qui devait être “le plus grand port en eaux profondes du Maghreb”, pour finalement dérouler le tapis rouge… à la France. Oui, cette même France accusée hier encore de tous les maux de la Méditerranée.
D’un partenariat “stratégique” avec Pékin à une étreinte discrète mais appuyée avec Paris, le régime algérien démontre une fois de plus que, chez lui, la boussole économique pointe toujours vers le dernier visiteur qui sourit au président.
Un port fantôme pour une vraie visite
L’affaire commence par une visite qui aurait dû passer inaperçue , celle de Rodolphe Saadé, big boss de CMA CGM (alias l’empire français de la logistique maritime), venu siroter un café avec le président Tebboune début juin. Et quelques jours plus tard, miracle ! Le port de Hamdania, projet à 5 milliards de dollars lancé avec tambours chinois et trompettes d’import-export, est purement et simplement rayé de la carte des ambitions.
La justification officielle ? Trop cher, trop compliqué, trop… chinois. Le directeur de l’entreprise portuaire nationale “Sérport” a beau habiller la décision de “raisons techniques”, tout le monde a compris que l’affaire s’est jouée dans le bureau présidentiel, probablement entre une poignée de main chaleureuse et une promesse de “modernisation” made in France.
Pékin out, Paris in , la valse des intérêts
Ce qu’on appelait fièrement “projet souverain” devient donc une coquille vide. Finie l’époque où Alger bombait le torse en expliquant qu’elle allait relier l’Afrique à l’Europe avec un hub portuaire capable d’accueillir les titans des mers. Exit aussi la participation chinoise à hauteur de 49 %, et les prêts d’Exim Bank. Place désormais à des “réaménagements” plus modestes, mais “européens”.
En réalité, le deal semble clair , un petit sacrifice au dieu Macron pour calmer la colère de l’Élysée, en échange d’un peu de “soft power” logistique. Rodolphe Saadé, homme d’affaires discret mais influent, proche du président français et propriétaire de médias importants dans l’Hexagone, apparaît ici comme le messager d’un pacte de désescalade. Autant dire que dans ce théâtre d’ombres, la France n’a même plus besoin de sa diplomatie officielle , ses patrons du CAC 40 s’en chargent très bien.
Et les souverainistes dans tout ça ?
C’est un peu la cerise sur le couscous , les partisans de la “rupture avec la Françafrique” découvrent que leur régime préféré vient de bazarder le projet phare de “désalignement” en un clin d’œil. C’en est trop pour les amateurs de souveraineté en burnous : eux qui célébraient le port de Hamdania comme un doigt d’honneur logistique à l’impérialisme occidental, se retrouvent gros Jean comme devant, à observer Paris reprendre pied dans les infrastructures stratégiques du pays, sans que personne ne moufte.
Même les militants les plus enragés sur Twitter semblent avoir perdu la connexion. Il faut dire que la trahison est douloureuse , on nous vendait un port de 20 mètres de profondeur, capable d’avaler les plus grosses coques du monde. On aura finalement quelques coups de pelleteuse pour agrandir les quais existants, et si tout se passe bien, un partenariat en prime pour l’exploitation “à l’européenne” des installations existantes. Vive la modernité.
Le port de toutes les illusions
Le port de Hamdania était censé repositionner l’Algérie au centre du jeu logistique entre l’Afrique et l’Europe. Un rêve d’indépendance maritime, une revanche sur Tanger Med, un symbole de la “nouvelle Algérie”. Résultat , un retour discret sous parapluie tricolore, une poignée d’euros dans les tuyaux, et une gifle économique à l’ami chinois, qui risque de s’en souvenir la prochaine fois qu’Alger quémandera un prêt ou un appui diplomatique à l’ONU.
Mais qu’importe. À Alger, l’essentiel est ailleurs : montrer aux Français qu’on sait faire des compromis. Surtout quand ils arrivent avec des promesses d’investissement, un agenda diplomatique souple… et un lobby puissant dans les couloirs du pouvoir.
Hamdania, ou l’art algérien de saborder ses rêves
À force de jouer sur tous les tableaux, l’Algérie finit par effacer le sien. Le port qui devait incarner l’avenir est devenu le symbole d’une stratégie brouillonne, soumise aux caprices du moment et aux visiteurs du jour. Le tout emballé dans une rhétorique souverainiste de pacotille qui ne trompe plus personne.
Il paraît que “la mer ne ment jamais”. Mais les ports, eux, peuvent changer de pavillon du jour au lendemain. À condition qu’on leur promette un bon quai… et un partenaire qui parle français