Belgique – Islam en mode casting : « Qui veut représenter les musulmans ? »
Bouchaib El Bazi
Parfois, la démocratie a des ratés. D’autres fois, elle ressemble carrément à un mauvais télé-crochet. En Belgique, la représentation du culte musulman semble s’être transformée en une sorte de Star Academy institutionnelle, où le jury (le ministère de la Justice) distribue les rôles sans passer par les auditions. Dernier épisode en date : une nouvelle ASBL sortie du chapeau s’est autoproclamée représentante des musulmans belges. Rien que ça.
Un remake sans casting, ni scénario légitime
Le 21 mai 2025, l’agence Belga publiait un article annonçant qu’un « nouvel organe représentatif » avait déposé une demande de reconnaissance officielle auprès de la ministre de la Justice, Annelies Verlinden. À première vue, on pourrait saluer un effort de structuration, un signe de maturité. Mais à y regarder de plus près, la comédie vire au vaudeville.
Car ce fameux « organe » ne sort pas du suffrage universel, ni même d’un vote de mosquée de quartier. Non. Il sort d’une nomination magique opérée par quelques mains invisibles (et non musulmanes, soit dit en passant), loin des urnes, loin des fidèles, mais tout près des bureaux ministériels. Des personnes sans mandat, sans légitimité, sans ancrage, mais avec de solides appuis politiques. De quoi faire rêver même les plus cyniques.
Retour vers le futur : l’EMB élu, puis évincé
Pourtant, tout avait été fait dans les règles. Depuis 2009, une large commission réunissant imams, sociologues, anciens membres de l’EMB (Exécutif des Musulmans de Belgique), et autres figures du terrain, s’était attelée à un travail de fond. Un vrai chantier démocratique, où les mosquées locales – vous savez, ces lieux où les musulmans prient et vivent leur foi – avaient voix au chapitre. Résultat : en 2014, 292 mosquées sur 300 élisent un nouvel EMB. Solide, représentatif, incontestable.
Mais voilà, en Belgique, la stabilité inquiète, surtout quand elle vient de la base. En 2023, l’EMB démocratiquement élu est brutalement dissous. Non pas pour malversation, incompétence ou hérésie doctrinale. Non, simplement parce qu’il ne correspondait peut-être pas aux préférences du moment. À la place, quatre individus sont parachutés sans autre légitimité que la bénédiction d’un ministre en mal de solution facile. Un coup de baguette magique… ou de massue.
Une ASBL nommée désir… par personne
Et comme dans toute bonne saga belge, on invente une nouvelle structure : l’ASBL CMB. Une création qui, dans l’heure, est rejetée par l’écrasante majorité des mosquées. Un exploit d’unanimité, il faut le souligner. Des centaines d’institutions musulmanes expriment leur refus catégorique. On a rarement vu un tel élan communautaire… pour dire non, merci.
Et pourtant, la machine continue. Ce 21 mai, donc, revoilà les mêmes en piste, avec une demande de reconnaissance auprès de la ministre Verlinden. Toujours sans élections, toujours sans consultation, toujours sans légitimité. Mais avec la même constance : ignorer ceux qui, chaque jour, font vivre le culte sur le terrain.
Représenter sans être représentatif, un sport national
Ce que dénonce aujourd’hui la communauté musulmane de Belgique, ce n’est pas seulement une imposture administrative. C’est une insulte à l’intelligence collective, un mépris envers les principes élémentaires de représentativité. On ne nomme pas un organe religieux comme on désigne un conseil d’entreprise ou un comité d’éthique pour la choucroute.
La représentativité ne se délègue pas dans un bureau ministériel à Bruxelles, elle se construit dans les mosquées, auprès des fidèles, dans les prières du vendredi et les réunions communautaires. Ce sont ces lieux-là qui légitiment une parole. Le reste n’est qu’un décor.
Un appel au dialogue… ou au retour au bon sens
La communauté musulmane, dans sa très grande majorité, ne demande pas la lune. Juste qu’on respecte le processus engagé depuis 15 ans, qu’on écoute ceux qui représentent réellement les croyants, qu’on dialogue avec ceux qui ont un mandat et une base. Pas avec des hologrammes administratifs.
Madame la Ministre, il est encore temps de revenir à la raison. Ce n’est pas une crise, c’est une occasion. Celle de bâtir, avec les bonnes personnes, un cadre clair, démocratique et durable. Mais pour cela, encore faut-il distinguer représentation et usurpation.
En somme, ce que réclame la communauté musulmane de Belgique aujourd’hui, c’est simple : qu’on arrête de jouer à la démocratie… sans les électeurs.