À Bruxelles, les droits de l’homme en pause : ne pas déranger la Pride (ni Philippe Close)

Bouchaib El Bazi

Bruxelles, capitale de l’Europe, du surréalisme et maintenant… de l’équilibrisme sécuritaire. Depuis octobre 2023, la place de la Bourse est devenue le théâtre d’un étrange ballet : chaque jour à 19h, des manifestants pro-palestiniens viennent y brandir leur indignation, pendant que la police affine ses chorégraphies d’intervention.

Mais samedi dernier, c’était Pride. L’événement multicolore, festif, dansant – et sacré. Et malheur à qui oserait troubler la musique d’un DJ survolté par un appel à la solidarité internationale. La cohabitation fut de courte durée.

Six arrestations, des vidéos choc, des policiers un peu trop zélés… et une Pride vidée de la moitié de ses participants, selon la police. Un miracle si le drapeau arc-en-ciel a survécu à cette collision des causes.

Quand la liberté de manifester a un horaire

Interpellé sur la disproportion apparente des forces déployées, le bourgmestre Philippe Close, garant autoproclamé de l’ordre bruxellois et visiblement peu amateur de débats trop bruyants, s’est fendu d’un rappel à l’ordre administratif : “Il faut une autorisation.” Ce qui, traduit du closien, signifie : “Soutenez qui vous voulez, mais pas sans tampon.”

L’argument massue du bourgmestre ? Une vidéo diffusée en pleine séance du conseil communal où l’on entend des manifestants scander des mots qui hérissent les poils de tout service de renseignement en burn-out : “Hamas, djihad, Hezbollah.” Trois mots pour trois lettres : S.O.S.

Sauf que pour Dalila et Émilie, militantes de la première heure et désormais figures malgré elles de cette mobilisation, cette vidéo est un piège : “Un extrait choisi, hors contexte, pour justifier des violences policières déjà bien entamées”, affirment-elles. D’ailleurs, à force d’être gazées, matraquées et fichées, elles commencent à douter de leur statut : citoyennes ou ennemies d’État ?

Bourse : agora ou zone interdite ?

Depuis un an et demi, la place de la Bourse est à la fois point de ralliement, point de rupture, et désormais… point de crispation. La Ville veut de l’ordre, les manifestants veulent exister. Et au milieu, des passants qui ne savent plus s’ils doivent sortir leur pancarte ou leur spray au poivre.

Et le dialogue ? Il aurait pu exister. Une rencontre était prévue entre les militantes et le cabinet de Close – mais sans Close, évidemment. Deux policiers, une plante verte et quelques banalités sécuritaires auraient donc dû suffire. “On a préféré annuler”, expliquent Dalila et Émilie. Trop risqué, trop flou, trop proche du piège à revendication.

“On veut bien discuter, mais avec des journalistes, des avocats et, si possible, un minimum de sincérité.” Mais ça, à l’hôtel de ville, c’est devenu une denrée rare.

Un État d’esprit… très policé

Si la sécurité justifie tout, alors tout devient suspect. Une pancarte, un mot, une bouteille (jetée avant ? après ? par qui ? mystère). Et dans ce flou artistique, la cause palestinienne devient elle-même un corps étranger à neutraliser.

Dalila résume le sentiment partagé par nombre de militants : “On ne sait même pas si on est fichées comme terroristes.” Bienvenue dans une démocratie où manifester devient un acte à haut risque administratif.

Pride contre Palestine ? Ou l’art de diviser pour mieux disperser

La coïncidence entre les deux événements n’a rien d’un complot. Mais leur gestion révèle un malaise : dans la hiérarchie symbolique des causes, certaines ont droit au podium, d’autres à la matraque. L’inclusivité, oui. Mais pas pour tout le monde, et surtout pas sans autorisation.

Philippe Close, tel un chef d’orchestre fatigué, tente de faire taire les fausses notes à coups de vidéos alarmistes et de procédures. Mais à force de jouer à la sécurité à géométrie variable, la Ville risque de se réveiller avec une réputation de capitale où les droits fondamentaux se gèrent comme des nuisances sonores.

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.