Masters contre espèces sonnantes : l’université marocaine vend son âme au marché noir
Bouchaib El Bazi
À Marrakech, ville rouge mais visiblement pas rouge de honte, un professeur de droit – ironie du sort – s’est retrouvé derrière les barreaux. Non pas pour avoir plagié Socrate ou confondu Aristote avec Instagram, mais pour avoir transformé son amphithéâtre en une véritable boutique de diplômes. Oui, chez lui, le “Master” s’achetait comme une babouche au souk, entre 70.000 et 90.000 dirhams, et pour les plus ambitieux, le doctorat culminait à 150.000. Payable comptant ou en plusieurs fois, avec option mémoire rédigé par un ghostwriter académique.
Ce professeur, également figure politique, prouve au moins une chose : au Maroc, la corruption ne connaît pas de frontières… même pas celles du savoir. Ce n’est plus l’université, c’est Ali Baba et les quarante samsaras.
Mais le plus tragique dans cette opérette universitaire, c’est que tout le monde savait. Un silence complice planait sur les campus. Certains enseignants confiaient même volontiers leurs étudiants à ces réseaux parallèles, comme on confie un colis à Chronopost, sauf qu’ici, le colis est un mémoire de master, et le destinataire un jury bienveillant – ou aveugle.
Les étudiants, quant à eux, oscillent entre colère et résignation. Comment croire encore au mérite quand le diplôme dépend davantage du chéquier que du cerveau ? L’université, au lieu d’être la fabrique de l’élite, devient une salle de ventes aux enchères où l’intelligence est optionnelle, et la richesse un prérequis.
Pendant ce temps, les communiqués ministériels appellent à “la réforme”, à “la moralisation”, à “l’excellence”. Un vocabulaire noble, hélas trahi par la réalité des pratiques : favoritisme, piston, réseaux d’influence… Le mérite est un mythe, comme le Wi-Fi dans les amphithéâtres.
Cette affaire de Marrakech, si elle choque encore, c’est peut-être parce qu’elle met des visages sur ce que beaucoup pressentaient : le savoir est devenu une marchandise, et l’université un centre commercial. Le problème n’est pas un professeur déviant, mais un système qui permet – voire encourage – ce type de dérive.
Il est urgent que l’université retrouve sa vocation première : transmettre, former, émanciper. Pas corrompre, décourager et vendre des illusions emballées dans du papier à en-tête. Parce que demain, ceux qui auront acheté leur diplôme plaideront devant des tribunaux, occuperont des fonctions publiques, enseigneront à leur tour… et le cercle vicieux continuera.
L’université ne peut pas être à la fois le sanctuaire du savoir et le théâtre de combines minables. Il faut choisir : ou bien elle élève la nation, ou bien elle la tire vers le bas en la prostituant au plus offrant.
À quand un master en intégrité ? Celui-là, il serait inestimable.