Braquages, agressions, tentatives d’enlèvement : derrière ces violences, un même fil conducteur — la longue main d’Alger. L’implication d’un agent consulaire algérien dans le kidnapping de l’influenceur Amir Boukhors révèle une réalité que les opposants au régime connaissent depuis longtemps : la menace ne s’arrête pas aux frontières.
Paris, avril 2024. Quand la police judiciaire informe Amir Boukhors qu’un agent consulaire algérien est impliqué dans son enlèvement, l’influenceur, figure montante de la contestation anti-régime, n’est pas surpris. « Je n’ai qu’un seul ennemi qui me traque et veut me faire taire », affirme celui qui, réfugié en France depuis 2016, a été visé par neuf mandats d’arrêt internationaux lancés par Alger.
Pendant 24 heures, Boukhors est retenu par ses ravisseurs, dans ce qu’il décrit comme une tentative d’intimidation. Quelques jours plus tard, il découvre avec amertume que le ministère algérien des Affaires étrangères le qualifie publiquement de « voyou » et « énergumène ». Un langage révélateur d’une hostilité assumée.
Violences ciblées
Pour les exilés politiques algériens en France, cette agression n’est que la partie émergée de l’iceberg.
À Paris, le journaliste d’investigation Abdou Semmar a lui aussi échappé de peu au pire. En août 2023, alors qu’il se rend à un rendez-vous, il est attaqué à Nanterre : gaz lacrymogène, arme de poing brandie, téléphone volé. L’enquête révèle que le portable a été exfiltré… jusqu’en Algérie. Pour Semmar, qui anime une chaîne YouTube très suivie sur l’actualité franco-algérienne, le message est clair : se taire ou subir.
Même scénario pour Riad O., militant engagé contre le régime, agressé en plein jour à deux pas de la place de la République. Ce dimanche-là, des caméras filment la scène. Quelques heures plus tard, la télévision publique algérienne diffuse les images, saluant l’« arrestation d’un traître ». Le piège était tendu.
Un mode opératoire bien rodé
L’implication des services d’Alger ne se limite pas aux intimidations physiques. Elle s’appuie aussi sur des réseaux bien organisés, opérant parfois sous couverture diplomatique.
L’ancien colonel de l’armée algérienne Hichem Aboud en a fait l’expérience en Espagne. En 2025, alors qu’il séjourne à Barcelone, quatre hommes cagoulés le kidnappent et le transportent sur près de 1000 kilomètres. Retrouvé plus d’une journée plus tard, ligoté dans un bateau, il accuse directement Alger. Selon l’enquête, les auteurs seraient des fonctionnaires algériens munis de passeports de service.
Un premier avertissement lui avait été adressé dès 2021 : un résident belge l’avait prévenu d’une tentative d’assassinat orchestrée par les services algériens. Pourtant, malgré un dossier d’instruction de plus de 7000 pages, la justice antiterroriste française a classé l’affaire, faute de « violences avérées ».
« Une décision sidérante », commente Me Essakali, l’avocat d’Aboud, qui vient de déposer une nouvelle plainte pour « acte terroriste ».
La menace est politique
Sur les réseaux sociaux aussi, la pression est constante. Opposants, activistes, journalistes : tous décrivent une campagne de harcèlement numérique alimentée par des influenceurs pro-régime. En janvier dernier, l’arrestation de plusieurs d’entre eux par la France pour « propos haineux » sur TikTok a mis en lumière l’ampleur du phénomène.
À la clef : insultes, menaces de mort, appels à la pendaison. Le 30 janvier 2025, Hichem Aboud portait encore plainte contre un internaute l’ayant qualifié de « traître » à la patrie.
Pour Ali Ait Djoudi, président de l’ONG Riposte internationale, ces violences sont validées au sommet de l’État. « Le président Tebboune nous traite publiquement d’enfants de Harkis. Le message est clair : nous sommes des cibles légitimes. »
En France, l’ombre d’Alger plane
Sur le sol français, ces exilés pensaient avoir trouvé refuge. Pourtant, leur quotidien reste marqué par la peur. Une peur qu’ils savent désormais institutionnalisée. Derrière les agressions, les enlèvements ratés, les campagnes de dénigrement, ils voient une stratégie d’intimidation systématique, commandée par un État qui refuse d’accepter la critique, même au-delà de ses frontières.