Interdiction… autorisée du port du voile à la Ville de Bruxelles
Libre eco week-end | La Cour du travail de Bruxelles a autorisé dans un arrêt du 15 février 2024 l’interdiction du port du voile dans l’administration. Une chronique d’Olivier Scheuer, avocat Thales Brussels.
D’abord, le rappel des faits Madame X postule pour un poste à la Ville de Bruxelles. Lors de l’entretien de sélection, elle fait savoir qu’elle n’enlèvera pas son voile pendant les heures de travail. Elle invoque son droit au culte et sa liberté de manifester sa religion. L’entretien tourne court.
Madame X dénonce le fait qu’elle n’a pas été entendue sur ses compétences mais uniquement sur son intention de porter le voile. Le recruteur lui répond que le principe de neutralité est imposé tant par la Constitution que par le règlement de travail de la Ville de Bruxelles.
Insatisfaite, Madame X dépose une requête en cessation. Elle demande au tribunal du travail de constater que la Ville a commis une discrimination en rejetant sa candidature à un emploi au motif qu’elle portait un foulard et qu’elle n’acceptait pas de l’enlever et d’ordonner la cessation de cette discrimination.
Pour la Cour, la notion de convictions religieuses couvre le fait d’avoir des convictions religieuses mais aussi la manifestation de ses convictions en public.
Distinction directe ou indirecte
La Cour du travail de Bruxelles commence par rappeler l’interdiction de principe de la discrimination fondée sur les convictions religieuses et philosophiques, notamment dans les relations de travail. Précisons que pour la Cour, la notion de convictions religieuses couvre le fait d’avoir des convictions religieuses mais aussi la manifestation de ses convictions en public. Toute distinction fondée sur des convictions religieuses n’est toutefois pas interdite : une distinction (directe) peut être justifiée par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes ; et une distinction (indirecte) si la pratique est justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont appropriés et nécessaires.
Pour la Cour, la distinction, dans le cas qui nous occupe, est indirecte. L’arrêt du processus de recrutement est en effet justifié par la politique de neutralité exclusive de la Ville, laquelle interdit à l’ensemble de son personnel le port de tout signe convictionnel, religieux, philosophique ou politique. La religion musulmane n’est donc pas distinguée des autres religions.
La Cour relève aussi qu’aucun élément du dossier n’indique que l’interdiction a été appliquée différemment à Madame X, en tant que musulmane, par rapport à d’autres candidats ou candidates épousant d’autres convictions religieuses. Cette distinction indirecte est, par ailleurs, justifiée pour la Cour.
Un raisonnement en trois étapes
Son raisonnement, en trois étapes, peut être résumé comme suit :
– d’abord, l’objectif qui consiste à mettre en œuvre un principe de neutralité des pouvoirs publics est légitime, dès lors que la neutralité des pouvoirs publics est reconnue comme un principe de droit constitutionnel de droit belge, garantissant les droits et libertés et le respect du principe d’égalité et de non-discrimination ;
– ensuite, il faut considérer que la mesure consistant à arrêter le processus de sélection est appropriée dans la mesure où elle permet de mettre en œuvre l’objectif légitime poursuivi par la Ville à savoir, l’instauration d’un environnement administratif totalement neutre ;
– enfin, la mesure retenue par la Ville était nécessaire et proportionnée ; elle préserve, selon la Cour, un juste équilibre entre, d’une part, les droits individuels de Madame X à ne pas être discriminée en raison de sa religion et à pratiquer librement celle-ci, et, d’autre part, le droit de la Ville à mettre en œuvre la politique de neutralité exclusive qu’elle a choisie.
La (seule) solution pérenne consisterait donc à modifier la loi et/ou la Constitution pour clarifier définitivement ce qui est autorisé de ce qui ne l’est pas dans la sphère du travail.
Madame X est, par conséquent, déboutée par la Cour du travail. Est-ce que cet arrêt signifie la fin des controverses sur le port du foulard au travail ? Probablement pas. Le prochain juge saisi d’une affaire identique, parce qu’il a une autre histoire personnelle ou d’autres convictions, pourrait en effet arriver à un résultat contraire.
La (seule) solution pérenne consisterait donc à modifier la loi et/ou la Constitution pour clarifier définitivement ce qui est autorisé de ce qui ne l’est pas dans la sphère du travail. Il faudra bien sûr du courage politique mais la sécurité juridique et une certaine forme de paix sociale dans les administrations et les entreprises privées le requièrent. Avis aux plus courageux…