Bilan de Tebboune: quand l’APS sert un mémorable chef-d’œuvre de déni et de contrevérités
Dans une tentative aussi désespérée que ratée de redorer le blason du chef de l’État algérien et d’effacer sa lourde ardoise d’échecs, l’agence d’information algérienne nous gratifie d’une véritable perle, où la déchéance de l’Algérie est présentée comme un marqueur de grandeur, son isolement comme une preuve d’autonomie et sa misère comme un signe de souveraineté. Incroyable.
Cette fois, l’agence officielle d’information algérienne et porte-voix du régime en place s’est littéralement surpassée. Dans le jargon, cela s’appelle une pépite. Que dis-je? Une perle. La dépêche est plutôt courte, mais chaque mot qu’elle déroule mérite le détour, tellement elle est chargée de pures contrevérités sur le bilan du «règne» du président Abdelmadjid Tebboune. Un bilan fait d’échecs à répétition sur tous les fronts, et dont l’Algérie sort (ou pas) plus affaiblie que jamais. L’APS n’en a cure et l’isolement total dont souffre le pays sur la scène internationale est, dès le titre, présenté comme «une autonomie stratégique». C’est fabuleux. Au propre comme au figuré. L’exercice se voulait un résumé tant des «victoires» de l’Algérie, sur elle-même et sur les autres, que de la vision ô combien «proactive» et clairvoyante d’un président en avance sur son temps.
D’emblée, la dépêche-bilan nous apprend (zut, on ne le savait pas) que l’Algérie est de retour: «Cette affirmation souvent brandie n’a jamais pris autant de consistance que lors des années de la Présidence Tebboune. Au fil des mois, la voix de l’Algérie a pris des décibels, sa diplomatie est devenue plus agressive et sa proposition internationale plus marquée.» Le wow effect est garanti. Mais tout est de savoir où et quand précisément ces «décibels» se sont fait entendre et quelle est exactement cette «proposition internationale». Quand l’Algérie s’est fait tirer le tapis de la présidence de la Ligue arabe sous les pieds par l’Arabie saoudite? Quand le Mali, le Niger et bien d’autres l’ont solennellement éjectée de tout soupçon de rôle dans la scène sahélienne? Ou peut-être alors quand le projet de règne d’Abdelmadjid Tebboune, l’intégration des BRICS, a été déclaré mort-né? Ou plutôt quand Alger a perdu toutes ses cartes face à l’Espagne et qu’elle a définitivement gaspillé toute sa rente mémorielle devant la France? Ou peut-être encore quand la Russie et la Chine, ses «alliés» qui lui ont définitivement tourné le dos, vaquant à des occupations bien plus importantes en pariant sur des pays qui ont du «poids et de l’influence», pour reprendre l’expression du charismatique chef de la diplomatie russe? Ah, mais il reste encore le Mozambique et la Sierra Leone à soudoyer en vue d’un front africain anti-marocain au Conseil de sécurité. Une hostilité qui sert de seule politique étrangère, et même intérieure, au régime.
En désespoir de cause, et un peu pour faire genre, appelons Ebrahim Raïssi, président d’un Iran également au ban de la communauté internationale, déroulons-lui le tapis rouge, et le tapis de prière de la Grande mosquée d’Alger, et signons des accords bidon dont le seul élément tangible est l’ouverture de tout le pays à l’expansion chiite. Cela s’appelle la coopération culturelle. Et fins stratèges, les mollahs de Téhéran doivent jubiler à l’heure qu’il est. Petit aperçu:
Au «pays du monde à l’envers», pour reprendre l’expression très juste des auteurs du livre «Le Mal algérien», cet isolement a un nom: «le retour». Du Jedi, serait-on tenté d’ajouter. Après tout, nous sommes en pleine science-fiction. «L’Algérie de retour est une Algérie qui dérange. Cette autre affirmation est vraie. L’une ne va pas sans l’autre», écrit-on à l’APS. Et tant qu’à faire, on règle ses comptes à «l’ancien régime» qui s’est bercé d’une illusion de puissance durant deux décennies. «La réalité brutale des rapports de force internationaux était en défaveur d’une éclosion d’une Algérie audible, visible et patriotique. Alger avait fini par être un petit dragon en papier, tout juste bon à gesticuler et à s’auto-bercer d’un lapsus de grandeur.» Il faut admettre que c’est vachement bien écrit. Mais une question: qu’est-ce qui a changé depuis? Absolument nada.
Du style de Tebboune «volontairement cassant»
L’APS admet volontiers que le style du président algérien est devenu «volontairement cassant» et l’attitude «épidermique. Nerveuse. Frontale», sans se soucier du «qu’en-dira-t-on?». C’est génial, mais pour quoi faire? Pour être «ferme sur les principes, courageux sur ses positions et pragmatique dans ses actions». Oui, mais concrètement? Rien. C’est tout juste si on saura qu’«à force de caresser le poil des puissances occidentales et orientales, l’Algérie n’a eu ni les IDE, ni les engagements, ni la reconnaissance, ni les alliances stratégiques et encore moins, disons-le, le respect qu’elle mérite en tant que Nation». OK, qu’a donc apporté la nouvelle politique «proactive» du président Abdemadjid Tebboune? Encore moins d’IDE, d’engagements, de reconnaissance, d’alliances stratégiques… et de respect.
C’est magique. Mais c’est faux. Le plus obséquieux des flagorneurs, c’est Abdemadjid Tebboune. Ses courbettes devant Vladimir Poutine, qualifié «d’ami de l’humanité», ou devant le président chinois, dans l’espoir vain d’obtenir leur parrainage pour rejoindre les BRICS, sont dans toutes les mémoires. Le pire, c’est que ces flagorneries n’ont rien obtenu en retour. Alors, de là à parler du «retour de l’Algérie»…
Qu’à cela ne tienne, la nouvelle Algérie n’en est que plus déterminée à affirmer SA puissance, à «jouer du muscle». Preuves à l’appui. L’APS cite le Sommet arabe organisé à Alger, un échec éclatant avec un inoubliable dîner au Sheraton, un Forum international du gaz, pour ceux qui n’étaient pas au courant, car c’est passé un peu inaperçu. En passant évidemment par les nombreux événements internationaux. Un sommet international pour en finir avec le dérèglement climatique? Une réunion pour en finir avec la faim et la guerre dans le monde? Une Coupe du monde de la fraternité universelle? Mais non. En Algérie, on se contente de peu et de pauvres Jeux méditerranéens dont de nombreuses délégations sont rentrées dégoûtées par l’accueil et l’organisation, et, tiens, une Coupe d’Afrique… des joueurs locaux, avec son lot d’improvisation, de kitsch et de violents actes racistes. «Tous ces épisodes n’ont été que des haltes pour marquer la différence géométrique et resituer l’Algérie sur la carte du monde», lit-on. On brûle d’impatience pour voir la suite.
Erreurs sur les auteurs
Quand l’Algérie perd le peu d’influence qu’elle a dans la région, l’APS dit que «l’Algérie a reconquis son espace vital» et que son président «a accepté le déséquilibre pour imposer sa vision». Docte et se voulant érudite, la mouture APS cite pour le coup «une romancière marocaine» qui dit que «la diplomatie échoue toujours lorsque le rapport de force est équilibré. On n’a jamais vu un plus fort accepter les propositions diplomatiques de l’autre.» Wayeah! Mais qui est donc cette romancière? Vérification faite, et l’APS nous en excusera, il s’agit de Muriel Barbery, auteure de l’excellentissime «L’Élégance du hérisson», sorti en 2006 et vendu à 1 million d’exemplaires à date. Née à Casablanca, Muriel Barbery n’en est pas moins (très) Française. Pour la plaisanterie, on dira que personne n’est parfait.
Et bien sûr, si autant de sauvagerie est mise en valeur, c’est parce que les ennemis sont partout. Comptez «les tenants de l’inertie en interne, ces fameux lobbys et groupes de pression, qui ne veulent pas voir un seul chantier entamé ou achevé, une seule réforme réussie, aucun changement acté et aucune dynamique engagée». Il y a évidemment le Mainstream (boum!) qui protège «l’entité sioniste». En Algérie, «être fort qu’avec les forts est devenu un credo assumé». Allez, standing ovation! Et que ça saute! La méthode? «Tenir la dragée haute à l’ONU à ceux qui nous demandent de nous taire –pour notre propre intérêt– est un acte de défiance à l’égard de la diplomatie asymétrique.» Pchakh! Mais quand, comment, et par qui? Puisqu’APS le dit, c’est que c’est vrai. Point. C’est aussi «faire reculer les frontières du possible en relations internationales, ce qui exige un certain doigté et une forte dose de bravoure». Là encore, il y a erreur. Steve Jobs, l’iconique fondateur d’Apple, dont la phrase copie le propos, parlait plutôt du «champ de distorsion de la réalité», soit l’effet qu’il avait sur les personnes qu’il côtoyait (employés, clients, fournisseurs ou journalistes) et qui leur faisait voir la réalité avec les yeux de Jobs. Abdelmadjid Tebboune, c’est le iPhone des présidents. Mais ses scribes gagneraient à revoir leurs classiques et, au passage, effectuer une sérieuse mise à jour.
Mais que l’on se rassure, 3emmi Tebboune est un gentil gars au fond. C’est un cœur tendre (et peut-être à prendre) dans un gant d’acier. La faute au mauvais temps et aux ennemis. «En définitive, le Président Tebboune n’a jamais été à la recherche du prestige international de façade, mais possède un seul fil conducteur. Un seul marqueur qui apparaît maintenant au grand jour: l’autonomie stratégique de l’Algérie», explique l’agence de presse. Abdelmadjid Tebboune, c’est au final un grand incompris: «La diplomatie présidentielle n’a pas été comprise dans son essence et encore moins dans sa vision à long terme.»
Une totale dépendance… au nom de l’autonomie
Chemin faisant, le mot est lâché: autonomie. Absolue souveraineté. Tonton Tebboune l’a dit dès l’entame de son premier mandat: «Que celui à qui nous devons un dinar vienne le chercher.» Il est la définition même de la cohérence. Ferme sur les principes, on vous dit. Cette quête d’autonomie stratégique se manifeste, à croire la dépêche APS, dans l’énergie, l’alimentaire, l’hydrique, le militaire, l’industrie ou les infrastructures. «Dans le monde mouvant actuel, un État qui a une Constitution, un drapeau et des frontières n’est pas complètement à l’abri de la disparition», résume-t-on. Mais que dire d’un État totalement inventé, sans Constitution, sans frontières, sans terre ni peuple, qu’est la RASD? Passons.
Mais quel mensonge Abdelmadjid Tebboune essaie encore de faire avaler aux Algériens? De quoi s’agit-il quand l’Algérie importe jusqu’aux produits pétroliers et gaziers raffinés. Un comble pour un pays riche en la matière. Les produits alimentaires, n’en parlons pas. L’Algérie importe tout au prix très fort. Les scènes des files interminables pour acheter un sachet de lait, un sac de farine ou un kilo de pois chiches. Au point que le président passe son temps à mettre sur la table des initiatives hautement stratégiques… pour approvisionner le pays en lentilles et en loubya. D’ailleurs, il est surnommé «moul Lhri» (le grand épicier) dans l’ouest algérien. Avec ce qu’il se passe, on reconnaîtra au moins une qualité aux Algériens: le sens de l’humour.
Quand elle parle d’autonomie dans le secteur hydrique, l’APS fait certainement référence aux coupures d’eau deux jours sur trois dans des métropoles comme Oran, ou celles qu’enregistre, pendant des heures dans plusieurs quartiers, la capitale Alger. Les petites villes, elles, sont réduites à l’âge de pierre sur ce registre.
Il y a sans doute la souveraineté militaire de la «force de frappe». Sauf qu’Alger importe tout et ne produit rien. Et depuis que son fournisseur russe ne semble plus pressé de lui vendre armes ou munitions, le chef de l’ANP, Saïd Chengriha, fait le tour des salons de l’armement dans l’espoir de s’approvisionner. Sans grand succès.
Au pays de l’industrie industrialisante, on rappellera, puisqu’on y est, que l’Algérie n’en a aucune. La fameuse usine Fiat annoncée tambour battant, et démentie par la cheffe du gouvernement italien, produit des voitures… auxquelles ne manquent même pas les roues, comme du temps de Mahieddine Tahkout. Quant aux infrastructures, Abdelmadjid Tebboune préfère s’attaquer non pas à la nécessaire construction du pays, mais à des projets là encore bidon, sans lendemain, comme la route Tindouf-Zouerate, inaugurée plutôt deux fois qu’une, en 2018 et 2024, mais restée au stade de projet irréalisable.
La réalité algérienne, c’est un documentaire tant craint par le régime qui promet de nous en donner un (vrai) aperçu. Nommons «J’irai dormir chez vous», époustouflante émission de télévision française animée par Antoine de Maximy, qui s’est récemment rendu en Algérie. Les extraits de l’émission, disponibles sur YouTube, en disent long sur l’état de misère absolue d’un pays censé être les Émirats du Maghreb. C’est tout simplement désolant.
Passé ces insignifiants exemples, tout va bien dans le pays du monde à l’envers. «Un peuple qui ne peut avoir sa propre nourriture, son eau, ses ports, son rail, son minerai, sa défense et sa propre capacité innovante ne peut survivre en tant qu’entité. Et l’activisme diplomatique du Président Tebboune n’a été guidé que par cette obsession de mettre à l’abri les deux: le peuple et l’État algériens», écrit l’agence dans ce qui ressemble à un tract électoral et au testament d’un régime en fin de vie. Et elle ne croit pas si bien dire. Entre les belles paroles et la triste réalité, ce n’est même plus la mer à boire, mais le naufrage assumé.
Plus sérieusement, ce testament tebbounien est à considérer sous l’angle de la psychanalyse. Les agissements hystériques du président algérien qui peuvent s’exacerber en conflit armé sur au moins quatre frontières de l’Algérie, l’isolement où ils ont confiné le pays, ainsi que la sidération des chancelleries étrangères ont conduit à cette étonnante confession. Mais Abdelmadjid Tebboune, sur un canapé, cherche un thérapeute qui transforme les actes ratés en performances. C’est le mérite de cette dépêche que nous livrons dans son intégralité, comme une preuve patente de la pathologie incurable d’un régime en fin de vie.