Portrait. Saïd Naciri, de la lumière des stades à l’ombre d’une cellule
Élu parlementaire et au conseil de la ville et désormais ex-président du Wydad de Casablanca, Saïd Naciri est l’un des personnages centraux de l’affaire dite du «Malien», liée à un réseau de trafic de drogue à l’échelle internationale. En détention préventive à la prison de Oukacha, il continue de clamer son innocence. Mais comme dans le cas de son co-accusé et camarade de parti Abdenbi Bioui, le parcours de Saïd Naciri et sa fortune sont entourés d’un épais mystère
Le 13 août 2023, Saïd Naciri fêtait ses 54 ans. Mais cette année, l’anniversaire avait un goût amer: pas de grande soirée dont ce bon vivant notoire avait le secret, ni d’escapade entre amis pour souffler les bougies sous d’autres cieux. Et pour cause, interdit de quitter le territoire national, le désormais ex-président du Wydad a passé le plus clair de ce mois d’août entre sa villa casablancaise, au quartier Californie, et le siège de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), sur le boulevard Roudani. L’objet: répondre aux graves accusations proférées contre lui par Haj Ahmed Ben Brahim, alias «le Malien» ou encore «l’Escobar du Sahara».
Ce ballet d’allers-retours s’arrête brutalement le 21 décembre 2023, quand il est placé en détention préventive à la prison de Oukacha, en compagnie de 24 autres accusés, dont son ami et présumé complice Abdenbi Bioui, ancien député et actuel président de la région de l’Oriental.
De Tamegroute à Casablanca
Saïd Naciri, comme son patronyme le suggère, est un «chérif» issu de la célèbre et puissante Zaouia Naciria. Il a vu le jour dans son fief à Tamegroute, dans la vallée du Drâa, à une vingtaine de kilomètres de Zagora. Il grandit dans une famille de condition modeste, au milieu d’une fratrie de 5 enfants, avec un père commerçant et une mère femme au foyer
En délicatesse avec les études, le jeune Saïd abandonne l’école après sa première année du lycée et part chercher fortune à Casablanca, où il est accueilli par des proches. À qui veut bien le croire, il répète qu’il détient un diplôme en informatique délivré par un établissement privé de Casablanca, sans jamais préciser lequel.
Dans la ville blanche, le futur patron du Wydad et homme politique multiplie les petits boulots, avant de se lancer dans différents commerces. «Il a longtemps hanté les grands marchés de Casablanca, où il faisait commerce de tout. Il avait un don inné pour les affaires», dit de lui une ancienne connaissance. Son activité a beau être florissante, l’homme se concentre sur une filière qu’il juge particulièrement rentable, où l’informel est roi: le négoce de ferrailles. Est-ce là le point de départ des affaires de Saïd Naciri, parfait self-made-man? Le doute est permis, d’autant que ce parcours est truffé de parenthèses plus ou moins mystérieuses.
Toujours est-il qu’au fil des ans, l’homme gagne en statut et en finances. Officiellement, le désormais ex-président du WAC affirme être à la tête de plusieurs entreprises, mais on ne retrouve son nom accolé qu’à ceux de deux sociétés: AK Promotion, dans l’immobilier, et Médina FM, radio privée dont il détient 20% du capital. D’où provient le reste? Les enquêtes toujours en cours et la justice apporteront probablement une réponse tranchée.
El Omary, Bioui et «le Malien»
À la tête d’une imposante fortune, Saïd Naciri est approché (comme ce fut le cas pour Abdenbi Bioui) par le Parti authenticité et modernité (PAM), alors en quête de candidats «bankables» pour attaquer la bataille des législatives de 2011. Bonne pioche: dans sa région d’origine, la circonscription de Zagora, il est élu haut la main. On ne bat pas un Naciri dans le fief de sa zaouia, encore moins un Naciri riche et particulièrement généreux avec ses électeurs.
Si la carrière politique du nouvel élu démarre sur les chapeaux de roue, sa vie familiale marque en revanche le pas. Père de deux enfants issus de deux mariages, il a depuis divorcé pour simplement retourner au célibat et «vivre sa vie» entre Rabat et Casablanca. Les rumeurs lui prêtent actuellement une liaison avec une styliste.
Ami intime d’Ilyas El Omari, l’ancien homme fort et secrétaire général du PAM, Saïd Naciri décide de tenter à nouveau sa chance en politique, mais cette fois-ci à Casablanca. La réussite est encore au rendez-vous lors des deux scrutins de 2015 et de 2016: il rempile au Parlement et fait son entrée au conseil de la ville. Lors du scrutin du 8 septembre 2021, il arrive à ravir le poste de président du conseil préfectoral avec le score de république bananière de 30 voix sur 31.
Pavé de succès, l’itinéraire de Saïd Naciri prend un nouveau virage lorsqu’il fait la connaissance, en 2011, de Abdenbi Bioui, député comme lui sous les couleurs du PAM. Et c’est le magnat du BTP qui l’aurait mis en relation avec «le Malien». D’après nos sources, les trois hommes auraient réussi, en 2013, à exporter illégalement près de 15 tonnes de résine de cannabis. Saïd Naciri, qui aurait assuré la logistique et les «relations publiques», aurait empoché, pour cette seule opération, quelque 11 millions de dirhams.
La descente aux enfers
Les affaires sont prospères et l’argent coule à flots. Saïd Naciri dépense sans compter, sans se cacher: lors d’une seule soirée dans un casino de la région d’El Jadida, Saïd Naciri aurait claqué 1,1 million de dirhams.
Abdenbi Bioui, présenté comme le chef du réseau de trafic de drogue, aurait eu pour méthode de s’approvisionner dans le nord du pays (notamment à Taounate), alors que Saïd Naciri se serait chargé du rôle de «convoyeur en chef». Au bout du trajet, la cargaison atterrissait chez les clients du «Malien» en Libye, en Algérie ou au Niger, en plus d’autres pays africains et européens.
En 2014, la vigilance des services de sécurité fait subir une grosse perte au réseau: courant août, une cargaison de 40 tonnes de résine de cannabis est interceptée entre Rabat et Oujda. Une cargaison de 40 tonnes pour combien d’autres qui ont réussi à passer entre les mailles du filet tendu par le dispositif sécuritaire? Ce sera, encore une fois, à l’enquête en cours et à la justice de remplir les vides.
Pour l’ex-président du Wydad et ses présumés acolytes, la descente aux enfers commence quand «le Malien» commence à se faire plus volubile, depuis son arrestation à l’aéroport de Casablanca en 2019 et sa condamnation à 10 ans de prison ferme. Aux enquêteurs de la BNPJ, qui l’ont déplacé de la prison d’El Jadida à celle de Oukacha, il a expliqué comment le reste des présumés membres du réseau auraient profité de son incarcération en Mauritanie, durant quatre ans, pour le dépouiller de ses biens, dont une villa d’une valeur de 33 millions de dirhams à Casablanca, plusieurs appartements à Saïdia et divers autres biens immobiliers.
Devant les enquêteurs, Saïd Naciri a nié avoir connu Haj Ahmed Ben Brahim, ainsi que toute implication dans un réseau de trafic de drogue. Mais il y a des faits têtus, bien difficiles à balayer.
Selon nombre d’informations, les deux hommes se connaîtraient au moins depuis 2013, quand ils avaient effectué une visite à Zagora, portant un «petit» présent de quelque 1,5 million de dirhams pour le financement d’un festival local et de la construction d’une mosquée. En contrepartie, Saïd Naciri aurait établi au «Malien» un document attestant son appartenance à la Zaouia Naciria, qui lui permettrait de prétendre à la nationalité marocaine. Bien évidemment, il n’en était rien. Une supercherie qui a berné ce dernier, comme lorsqu’il s’était fait assurer, en 2019, qu’il ne risquait rien en rentrant au Maroc.
19ème président du Wydad
Pour comprendre comment Saïd Naciri a écrasé ses rivaux aux élections de 2015 et 2016, à Casablanca, un flash-back s’impose. En 1999, le Zagouri devient adhérent au sein du Wydad, un des clubs phares de la scène footballistique du pays qui traverse alors un passage à vide et souffrait de la suprématie du Raja, l’autre club de la métropole.
Aussi ambitieux que fin stratège, il s’emploie à se rapprocher des dirigeants emblématiques du WAC, tels que Tayeb Fechtali, Nassreddine Doublali ou encore Hassan Bernoussi, et gravit rapidement les échelons au sein des instances du club, pour se placer dans les bureaux dirigeants qui se sont succédé à la tête des Rouges. Mais le public bidaoui n’allait réellement découvrir Saïd Naciri qu’après l’élection à la présidence du Wydad, en juin 2007, d’Abdelilah Akram, qui a fait de lui son bras droit.
Malgré un budget astronomique et des recrutements massifs, les résultats se font attendre. La moisson des titres est plutôt maigre, se limitant à un unique sacre en Botola en 2010.
Devenu la cible des ultras du WAC, qui vont jusqu’à boycotter les rencontres de leur club, Abdelilah Akram finit par jeter l’éponge et, le 29 juin 2014, Saïd Naciri devient le 19ème président de l’histoire du Wydad, captant au passage une base électorale non négligeable.
Le nouvel âge d’or du Wydad, c’est lui
Sous sa présidence, le Wydad devient ce rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage. Dès sa première saison, il remporte le titre de champion du Maroc, avant de récidiver deux ans plus tard. Mais l’ambition de Saïd Naciri ne se limitait pas à la scène nationale, il voulait dominer l’Afrique. À coup de millions, il achète les meilleurs joueurs de la Botola pour créer un effectif capable de remporter la Ligue des champions africaine, ce trophée qui échappe au club depuis 1992.
Et le président du club récolta rapidement les fruits de son investissement puisque les Rouges montent sur le toit du continent en 2017, avant de s’offrir, quelques mois plus tard, leur première Supercoupe africaine. Et ce n’est que le début. Le Wydad a poursuivi sa domination sur la Botola en remportant trois autres titres (2019, 2021 et 2022), et ajouté un troisième sacre africain (2022) à son palmarès.
Mais depuis son arrestation, le WAC marque le pas. Le club est mal en point en Ligue des champions (dernier de son groupe) et n’arrive plus à gagner en championnat (5 matchs sans victoire). Et côté finances, il est plus que jamais dans le rouge.