Sahara : Staffan de Mistura tente de relancer le processus des tables rondes
Staffan de Mistura arrivera-t-il à relancer le processus politique au travers des «tables rondes» en tant qu’unique cadre de discussion pour parvenir à une solution définitive au différend régional autour du Sahara marocain, comme souligné dans la dernière résolution du Conseil de sécurité ? La semaine dernière, le haut responsable onusien a eu des consultations bilatérales informelles avec, entre autres, le représentant de l’Algérie à l’ONU, pays qui a officiellement annoncé son refus de participer de nouveau à ces tables rondes.
L’Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies pour le Sahara, Staffan de Mistura, a tenu des réunions bilatérales informelles au cours de la semaine passée avec les représentants de l’Algérie et de la Mauritanie aux Nations unies, ainsi qu’avec le représentant du polisario à New York. Il a également rencontré les représentants de la France, de la Russie, de l’Espagne, du Royaume-Uni et des États-Unis, et a conclu ces consultations par un entretien avec l’ambassadeur permanent du Maroc auprès des Nations unies, Omar Hilale.
Si aucune communication officielle n’a été faite sur ces réunions, hormis des photos publiées sur Twitter, d’où l’on apprend que le Secrétaire général de l’ONU a reçu son Envoyé personnel pour le Sahara, jeudi dernier, qui l’a informé des conclusions de ces consultations, il n’en demeure pas moins qu’elles ont eu lieu en prévision du rapport semestriel qui sera présenté au Conseil de sécurité au cours de ce mois d’avril.
Algérie et Polisario s’obstinent dans leur tactique obstructionniste
Cinq mois après l’adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 2654 sur la question du Sahara marocain, rien ne semble indiquer une évolution de la position de l’Algérie, hostile aux tables rondes, et de ses marionnettes du Polisario. Cette résolution, rappelons-le, réaffirme pourtant le cadre du processus politique, ses acteurs et sa finalité.
Ainsi, et concernant le cadre du processus politique, le Conseil de sécurité a considéré (dans le paragraphe préambulaire n°4 de la résolution) que le format des «tables rondes» est le seul cadre de discussion en vue de parvenir à une solution définitive au différend régional sur le Sahara marocain. La résolution a également mandaté (dans son paragraphe opératif n°3) l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU pour «faciliter» le processus politique en «bâtissant sur… le cadre instauré par l’ancien Envoyé personnel», à savoir les deux «tables rondes» tenues à Genève respectivement en décembre 2018 et en mars 2019.
S’agissant des acteurs du processus politique, qui assument une responsabilité juridique, politique, et morale dans la recherche de la solution, la résolution a appelé de nouveau (dans son paragraphe opératif n°3) «le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie, et le “polisario” à rester engagés dans ce processus sur toute sa durée, dans un esprit de réalisme et de compromis, en vue de le faire aboutir». L’on constate d’ailleurs que la résolution cite systématiquement l’Algérie à chaque fois qu’il y est fait référence au Maroc. Et pour ce qui est de la finalité du processus politique, la résolution a réitéré (dans son paragraphe opératif n°2) que la solution politique devrait être «réaliste, pragmatique, durable, et basée sur le compromis», ce qui ne peut être que l’Initiative marocaine d’autonomie, dont la prééminence a été de nouveau réaffirmée par le Conseil de sécurité.
Par ailleurs, cette résolution 2654 insiste sur deux points importants impliquant directement l’Algérie et le polisario. Le premier a trait au recensement et à l’enregistrement des populations des camps de Tindouf. En effet, le Conseil de sécurité a (dans le paragraphe préambulaire n°23) «demandé à nouveau instamment» à l’Algérie que les populations des camps de Tindouf «soient dûment enregistrées», soulignant qu’«il importe que toutes les mesures nécessaires soient prises à cette fin». La même demande a été adressée (dans le paragraphe opératif n°15) aux agences onusiennes d’observer les «meilleures pratiques» de l’ONU dans l’acheminement des aides humanitaires aux populations des camps. Le Conseil a confirmé de la sorte les préoccupations de la communauté internationale concernant les détournements systématiques des aides humanitaires destinées à ces populations, dûment documentées dans des rapports d’organisations internationales.
Le Conseil de sécurité dénonce les violations du «polisario» du cessez-le-feu
Quant au deuxième point, il porte sur le respect du mandat de la Minurso dans la surveillance du cessez-le-feu. En effet, la résolution (dans son paragraphe opératif n°8) a demandé expressément au «polisario» de permettre «la reprise du réapprovisionnement sûr et régulier de la Minurso afin de garantir la viabilité de la présence de la Mission». Ainsi, le Conseil de sécurité a dénoncé les violations continues du «polisario» du cessez-le-feu à l’est du dispositif marocain de défense, à l’opposé de la coopération constante du Royaume avec la Mission onusienne.
Cependant, et alors que cette résolution a été adoptée il y a plusieurs mois, M. de Mistura devra faire preuve de prouesses diplomatiques inégalées pour ramener l’Algérie et le «polisario» sur la voie du dialogue et du compromis. Et en attendant qu’Alger respecte cette résolution, les populations des camps de Tindouf se voient contraintes de continuer à vivre dans des conditions déplorables en étant de plus en plus vulnérables aux tentations du crime organisé et du terrorisme qui sévissent dans la région du Sahel.
Entretien avec le professeur de relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat
Zakaria Abouddahab : L’ONU devrait modifier son modus operandi par rapport à l’implication algérienne dans le conflit du Sahara
Le Matin : Les pourparlers autour du Sahara sont au point mort depuis que l’Algérie a fait savoir qu’elle se désengageait du processus des tables rondes et qu’elle n’était pas concernée par le conflit. Or Staffan de Mistura vient d’inviter les représentants à l’ONU du Maroc, de l’Algérie, du polisario et de la Mauritanie à des consultations bilatérales informelles. Comment analysez-vous cette invitation de l’Algérie ?
Mohammed Zakaria Abouddahab : L’implication de l’Algérie dans le conflit du Sahara est une réalité historique avérée. Qui a créé les camps du Polisario à Tindouf ? qui a armé ce mouvement dangereux ? qui a abrité sur son territoire une fantasmagorique république ? qui lui ouvert les portes de l’OUA ? En outre, du point de vue du droit international humanitaire, l’Algérie est tenue par des obligations découlant des Convention de Genève sur le droit des réfugiés. À cela s’ajoute la réalité sociologique du conflit et ses dimensions géopolitiques régionales. Les Nations unies ne sont pas dupes et elles le savent bien. Mais la philosophie de l’approche onusienne reste trop conciliante et on a vu qu’elle n’a pas vraiment donné lieu à des résultats sur le terrain. Le processus des pourparlers semble bloqué et l’Algérie continue à en ignorer les conséquences sur le long terme. Le grand perdant, ce sont les Sahraouis séquestrés victime de l’omerta algérienne et polisarienne. Ignorer cette évidence ne fait donc qu’aggraver la situation et renvoyer le règlement du conflit aux calendes grecques. Ce serait franchement de la perte du temps diplomatique que de continuer dans cette approche.
Comment pensez-vous que l’Algérie va réagir à cette invitation ? Quelle est sa marge de manœuvre ?
L’Algérie s’abrite derrière des principes qui n’ont pas de substrat réaliste. On peut proclamer ce qu’on veut en termes d’idéaux, aussi nobles soient-ils, mais ils resteront toujours lettre morte s’ils ne sont pas nourris par le substratum sociologique et la réalité de terrain. Nous l’avons dit et redit, l’ONU devrait modifier son modus operandi par rapport à l’implication algérienne dans le conflit. Le consensus mondial autour du Plan marocain d’autonomie aidant, il conviendrait maintenant de le transformer en une résolution onusienne qui s’imposerait comme une coutume sage (pour reprendre une expression de René Jean Dupuy). Autrement, je ne vois pas comment l’ONU pourrait pousser vers la sortie de cette impasse devenue intenable.
Depuis la résolution en octobre 2022 du CS de l’ONU, qu’est ce qui a changé dans le processus de règlement du conflit autour du Sahara marocain ?
Les choses n’ont pas bougé d’un iota. Nous sommes dans un statu quo quasi permanent et le coût du conflit augmente avec le temps. Le cessez-le feu a été rompu depuis les agissements irresponsables des milices polisariennes, perceptibles en fait depuis 2016 et ayant culminé en 2020. Mais le champ de bataille n’est pas cantonné à la seule région du Sahara. L’onde de choc du conflit s’étend à d’autres sphères et il est dommage de remarquer que plusieurs institutions ou États politisent le sujet à des fins de calcul géopolitique (Parlement européen, Cour de justice de l’Union européenne, Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples…). Pendant ce temps, le Maroc a continué à consolider sa crédibilité régionale et internationale, à montrer sa résilience et à projeter sa diplomatie constructive et agissante. Son soft power a fini par s’imposer aux grandes chancelleries.
Comment voyez-vous les perspectives de l’évolution de ce conflit ?
Sans être cynique ou lugubre, il convient de souligner l’impasse dans laquelle le conflit du Sahara se trouve. À l’heure actuelle, il est temps d’opérer un tournant dans la façon de le traiter, d’engager des ruptures au sens de la prospective. Comme on le dit en épistémologie (Thomas Kuhn), il conviendrait de rompre avec la science normale et de transiter vers un nouveau paradigme annonçant une révolution dans les modes opératoires. La vérité, l’ONU l’a comprise il y a longtemps, mais elle le dit à demi-mot, car elle reste prisonnière des rapports de force à l’intérieur de ses organes, notamment le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale. La réconciliation algéro-marocaine ne sera pas pour demain, tant que les racines de leur antagonisme géopolitique n’auront pas été extirpées. C’est donc le nœud gordien du problème. Tabler sur le temps ? Rien n’est moins sûr. L’idée d’une conférence internationale sur le conflit du Sahara marocain n’est pas, non plus, une voie certaine, car elle compliquerait davantage le problème. L’option des tables rondes s’étant essoufflée, seule une approche radicale et courageuse permettrait de mettre la pression internationale sur les autorités algériennes pour lever la main sur le conflit et débloquer progressivement la situation. Le peace building prendra des années, même après un déblocage complet de la situation. Dès lors, nous sommes légitimement fondés aujourd’hui à se demander pourquoi l’ONU, qui soutient l’option de l’autonomie depuis 2007, n’est pas parvenue à l’imposer comme solution unique pour régler à jamais ce conflit qui continue d’empoisonner les relations régionales. Au final, le Plan marocain d’autonomie, saboté par l’Algérie et ses alliés, correspond parfaitement au Plan Baker I (2001) qui a été une opportunité historique manquée. Il est temps peut-être de le reprendre de manière revue et corrigée.