À LA MANŒUVRE pour garer son scooter rue Sauffroy (XVIIe), Alex fait vivre ses der- niers instants à son deux- roues dans la capitale. « Je vais le garder chez moi, je ne vois plus l’intérêt de le prendre », soupire-t-il. Jusque-là, cet habitant du Val-d’Oise l’utili- sait tous les jours pour se ren- dre à Paris, mais le stationne- ment payant pour les deux- roues thermiques, effectif jeudi 1er septembre, le con- traint à revoir son mode de déplacement. Peintre sur des chantiers aux quatre coins de la capitale, il envisage de pas- ser à l’électrique. « C’est aux alentours de 2 800 €, mais il va falloir », souffle Alex.
Entre colère et résignation, les usagers de motos et scoo- ters thermiques doivent désormais se plier au station- nement payant ou prendre le risque de se faire verbaliser (voir infographie). Car cette fois, nous y sommes. Après plusieurs soubresauts, ce pro- jet de la mairie de Paris, voté le 6 juillet 2021 au Conseil de Paris, entre en vigueur ce jeu- di. « Cette mesure rétablit l’équité avec les automobilis- tes et incite les utilisateurs de
deux-roues essence à utiliser des mobilités moins polluan- tes. Moins de pollution dans l’air, moins de bruit, c’est mieux pour notre santé », martèle David Belliard, adjoint au maire EELV en charge des mobilités.
Tout est prêt, assure-t-il, pour faire respecter la mesure dès la fin de la semaine, mais les détracteurs sont loin d’être de cet avis. « Plusieurs types d’abonnements, différents tarifs en fonction des zones, c’est à n’y rien comprendre ! Entre ceux qui ne pourront pas prendre d’abonnement, les résidents, le prix selon le quartier… Même nous, au cœur du problème, on ne s’y retrouve pas », gronde Jean- Marc Belotti, coordinateur de la Fédération des motards en colère de Paris et petite couronne, « vent debout contre la mesure ».
« C’est une arnaque ! »
Pour Jean-Marc Belotti, ce sta- tionnement payant « est enco- re plus discriminatoire pour les usagers qui vivent en ban- lieue et qui viennent des 40 km à la ronde ». Pour ceux- là, la mesure sonne comme une « double peine », assure- t-il. « Ils ne peuvent plus se loger à Paris à cause des prix
du logement et on leur dit maintenant : Pour venir tra- vailler, vous allez devoir payer ! » Sofian est de ceux-là. Résidant à Ormesson-sur- Marne (Val-de-Marne), cet étudiant qui se rend une à deux fois par semaine à Paris pour travailler et voir des amis a décidé qu’il ne paierait pas. « Si je peux économiser 8 €, c’est toujours ça de pris, argue le jeune homme de 21 ans. Deux amendes dans le mois ça me fera 50 €, soit globale- ment ce que me coûterait un abonnement. »
« Les usagers qui ne vou- dront pas payer recevront une amende », assure David Bel- liard, qui défend la mise en place « de nombreux tarifs moins chers, pour les rési- dents ou encore ceux qui ont besoin de leur scooter ou moto pour travailler », parmi lesquels « les personnes en situation de handicap ou encore les médecins effec- tuant des visites à domicile », qui ne paieront pas.
Pour l’heure, les livreurs, eux, ne s’y retrouvent pas. « On ne paiera pas ! Nos cour- siers ne stationnent parfois que trois minutes, s’exclame Gilbert Sitbon, à la tête depuis quarante ans de JPS Courses. Un Uber va venir livrer un plat à10€etilseprendraune amende de 25 €, le temps qu’il monte… Il faut arrêter d’empê- cher les gens de travailler. » La mairie annonce le recrute- ment de contractuels pour fai- re les contrôles. Les voitures Lapi destinées à verbaliser les automobilistes ne seront pas utilisées pour scanner les deux-roues. « Si ce sont des personnes qui verbalisent, on peut peut-être espérer négo- cier et s’expliquer », espère Carole, gérante de Profession- nal Express, une autre entre- prise de livraison.
Pour Robin, qui gare sa Ducati devant le concession- naire BMW, Horizon Ride, la journée est au test. « Je vais faire un essai pour un scooter électrique. Si je suis conquis, je commande et je revends ma moto », explique ce commer- cial qui vit boulevard Pereire (XVIIe) et travaille à Opéra (IXe).
D’autres, comme Karima, restauratrice dans le XVIIe, voient des limites à cette alter- native, « pas plus écologique
avec les batteries ». De toute façon, cette Parisienne en est convaincue, « d’ici un an, la mairie rendra le stationne- ment payant pour tous les deux-roues, thermiques et électriques ! ».
« Maintenant, on ne veut que des vélos à Paris »
La fin de la gratuité est donc une pilule dure à avaler pour les adeptes du deux-roues. Mais elle suscite aussi l’espoir de nombreux habitants, qui se plaignent des nuisances ou des incivilités sur la route. Reste que plus l’échéance approche, et plus Laurence, gérante de l’enseigne Cardy, vendeur d’accessoires moto et équipements du motard à la porte d’Asnières, entend la colère des motards monter. Depuis vingt ans dans le sec- teur, elle n’a jamais senti autant de crispation. « Les clients sont furieux ! Mainte- nant, on ne veut que des vélos à Paris », souffle-t-elle.
La Fédération française des motards en colère a bien déposé un recours contre le stationnement payant des deux-roues motorisés en octobre, mais « on attend tou- jours la réponse de la justice », souffle Jean-Marc Belotti, qui semble miser encore sur cette dernière carte. Le représen- tant a rendez-vous ce mardi à la mairie de Paris. Dans tous les cas, « on ne sait pas encore quand, mais une mobilisation est prévue », promet-il.