Une étudiante marocaine de 23 ans placée 11 jours en centre fermé avant d’être expulsée vers la Roumanie
Fabrice Gerard
Elle vient de passer onze jours au Centre de Transit Caricole à Steenokkerzeel. Dont six jours totalement isolée à cause de la quarantaine imposée par la pandémie de coronavirus. Ouiam Ziti, c’est son nom, est Marocaine. Elle est étudiante en 4ème année de médecine dentaire. Des études qu’elle effectue en français à Iasi en Roumanie. « J’avais l’intention de passer les fêtes de fin d’année au Maroc. Mais à cause du coronavirus, mon pays a décidé de fermer ses frontières. J’ai donc choisi de rester en Belgique à Bruxelles quelques jours avec mon oncle. C’est lui qui devait me conduire à Lille où vit mon frère jumeau. Nous avions l’intention de passer Noël et la nouvelle année ensemble ».
Un contrôle à l’aéroport de Charleroi
C’est le 13 décembre dernier que Ouiam Ziti atterrit à l’aéroport de Charleroi en provenance de Roumanie. « Je me suis présentée à la douane où j’ai donné mon passeport marocain, mon titre de séjour roumain ainsi que mon visa touristique Schengen délivré par les autorités françaises ». L’étudiante explique au policier des douanes qu’elle a l’intention de passer quelques jours chez son oncle avant de mettre le cap sur la France. Ce dernier lui demande quels sont ses moyens de subsistance et pourquoi elle n’a pas de cash. « Je n’avais que 10 euros en liquide, mais je lui ai montré ma carte de banque française et lui ai proposé de m’accompagner à un point de retrait pour lui prouver que je pouvais subvenir à mes besoins ».
Mais rien n’y fait. Selon l’étudiante de 23 ans, le policier profère alors une série de remarques de mauvais goût. « Il m’a dit : Tu es en médecine dentaire ? J’ai une carie, on peut s’arranger ». Ouiam Ziti est alors emmenée dans un local au sous-sol. On lui confisque ses effets personnels. Elle indique qu’elle dispose d’un garant en la personne de son oncle. Mais la police des douanes campe sur ses positions. Un rapport est transmis à l’Office des Etrangers, lequel décide d’expulser l’étudiante du territoire belge et d’abroger son visa touristique.
L’Office des Étrangers confirme la rapport de la police des douanes
« L’étudiante ne remplissait pas les conditions pour pouvoir entrer en Belgique » explique Dominique Ernould, la porte-parole de l’Office des Étrangers. « Elle dispose d’un visa touristique délivré par la France. Le but de son séjour doit être en France. Or elle a déclaré qu’elle comptait rester 22 jours en Belgique. Et pour cela, elle n’avait pas une prise en charge légalisée. En outre, la loi prévoit qu’il faut pouvoir justifier la somme de 45 euros par jour et par personne pour cette prise en charge, ce qui selon le rapport transmis par la police des douanes, n’était pas le cas ici ».
Une version que conteste fermement Ouiam Zita. « Les policiers ont construit un scénario sur base de déclarations que je n’ai jamais tenues. A aucun moment je n’ai dit que je voulais rester 22 jours en Belgique. La seule chose que j’ai déclaré c’est que j’avais un billet d’avion de retour pour la Roumanie le 3 janvier afin d’y poursuivre mon cursus universitaire. Mais mon intention était bien de passer les fêtes en France avec mon frère jumeau et de passer seulement deux ou trois jours en Belgique avec mon oncle. C’est d’ailleurs lui qui devait me conduire à Lille ».
Placée à l’isolement en centre fermé
L’arrivée au Centre de Transit Caricole est un véritable choc. « J’ai été placée à l’isolement pendant six jours. » explique l’étudiante. Livrée à elle-même, elle décide alors de prendre un avocat. Ce dernier lui conseille d’introduire un recours en extrême urgence devant le conseil du contentieux des étrangers. « Pour que ce type de recours soit recevable, il faut qu’un certain nombre de conditions soient respectée » explique l’avocat Sébastien Kayembe. Parmi ces conditions, il faut pouvoir démontrer que l’expulsion comporte un risque de préjudice difficilement réparable. « Malheureusement, le conseil du contentieux a estimé que le fait de se retrouver seul lors des fêtes de fin d’année, sans sa famille, ne constituait pas un préjudice difficilement réparable. Le tribunal estimant qu’avec les moyens technologiques actuels comme Facebook ou Whatsapp, elle n’était pas totalement coupée des siens ».
L’étudiante déplore également le fait de ne pas avoir pu assister à son audience. « Il est possible que la convocation ne soit pas arrivée au centre fermé » indique Dominique Ernould. « Ou que le délai pour organiser le transfert de l’étudiante ait été trop court ».
Expulsion vers la Roumanie et incertitude pour la suite de ses études
C’est cet après-midi , vers 14 heures 30, que Ouiam Ziti sera rapatriée vers la Roumanie. « Je n’ai tué personne, je n’ai volé personne. Je viens pour passer les fêtes de fin d’année avec ma famille et je suis traitée comme une criminelle. C’est vraiment une très mauvaise expérience dont je reste traumatisée ».
Cette veillée de Noël, elle la passera seule, loin de sa famille et de ses proches. Mais ce qui inquiète le plus la jeune étudiante, c’est cette abrogation de son visa Schengen. « J’étudie dans une université roumaine en français. Je vais devoir faire des stages en France et en Belgique. J’ai aussi l’intention de faire une spécialisation. Comment vais-je faire si je n’ai plus de visa ? ».
C’est la raison pour laquelle son avocat compte introduire un recours en annulation de la décision d’abrogation du visa par l’Office des Étrangers. « Je vais l’introduire dans les jours qui viennent » nous a-t-il confirmé. En attendant, Ouiam Ziti se rappellera longtemps de ces onze jours passés en centre fermé. » Je ne sais pas si j’aurai un jour le courage de revenir en Belgique. J’ai étudié deux ans ici. Jamais je n’ai pensé devoir payer aussi cher pour mon amour des études. Je me suis retrouvée ici privée de liberté et de mes droits fondamentaux. Abroger mon visa est une entrave à la suite de mes études. Alors que je n’ai rien fait de mal ».