Après le scandale Pegasus, une autre affaire d’espionnage impliquant le Maroc en France vient d’éclater, avec un nouvel enjeu : le contrôle des institutions de l’islam de France et la surveillance des « fichés S »
Mais qui est Mohamed B., né en 1964 au Maroc, résident en Alsace, dans le nord-est de la France, depuis 2018, après un passage en Espagne ?
Pour le renseignement français, il s’agit de « M118 », agent identifié de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, services secrets marocains), poursuivi pour « corruption d’agents publics » et pour avoir « cherché à exercer une emprise sur l’islam de France en ‘’tamponnant’’ le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui », selon une enquête parue ce jeudi dans l’hebdomadaire Le Point.
Mohamed B. a disparu des radars dès le 13 février 2018 quand un mandat d’arrêt l’a visé pour « corruption d’agent public ».
Un capitaine de la PAF impliqué
L’affaire remonte à juin 2017, quand le quotidien Libération révèle qu’un capitaine de la police aux frontière (PAF) à l’aéroport d’Orly (Paris), Charles D., et le responsable d’une société de sécurité ont été mis en détention provisoire, soupçonnés d’avoir remis, depuis des années, à des agents des services secrets marocains des informations classées « confidentiel défense », en fait des « fiches S », ces fameux signalements ciblant des personnes susceptibles d’être impliquées dans des affaires de terrorisme.
« Très rapidement, les investigations vont confirmer que Charles D. est en relation téléphonique nourrie avec un certain Driss A., à qui il fournit des renseignements et des badges dits ‘’verts’’, sortes de passe-droits qui permettent aux contacts de Driss de faciliter leur passage à la frontière… Et d’éviter certaines mesures de contrôle », révèle Le Point.
Le capitaine de la PAF aurait, selon cette enquête, reçu « un peu d’argent » et serait parti en voyage (parfois avec sa famille) au Maroc et en Angola, où il a rencontré le commanditaire présumé, Mohamed B., qui recevait via l’intermédiaire Driss A. les fameuses « fiches S ».
Ainsi, explique Le Point, « des dizaines de fiches d’informations confidentielles sur des personnes plus ou moins liées à la mouvance islamiste ont, pendant des mois et en toute illégalité, changé de main. […] Entendu par la police, Charles D. assume tout : ‘’Je sais que cette façon de procéder est illégale. Toutefois, je le fais dans l’intérêt supérieur de la nation afin de prévenir tout acte terroriste sur notre territoire’’ ».
« Au fil des mois, M118 se fait de plus en plus présent et parvient à rencontrer le directeur de la PAF d’Orly, par ailleurs conjoint de la patronne de l’IGPN [l’Inspection générale de la police nationale, la « police des polices »]. Il invite aussi personnellement Charles D. au Maroc, lui proposant au téléphone de venir avec sa famille. Ce dernier se dit enchanté. ‘’Vive sa Majesté !’’s’écrie-t-il », poursuit Le Point.
Toujours selon l’hebdomadaire français, Mohamed B., alias « M118 », fiché à son tour « S03 » (personne mise sous surveillance discrète par les renseignements français), intéresse les enquêteurs pour une autre affaire.
« Plus qu’un simple agent, l’homme est en réalité un rouage essentiel de la Direction générale des études et de la documentation (DGED). Sa mission ? Accroître le contrôle du royaume chérifien sur la pratique de l’islam en Europe. Si l’espion compte de nombreux faits d’armes, notamment en Espagne, il est aujourd’hui soupçonné d’avoir été, des années durant et avant sa fuite, l’agent traitant [chargé de recruter et de ‘’traiter’’ une cible pour en faire une source] du président du Conseil français du culte musulman (CFCM), le Franco-Marocain Mohammed Moussaoui », précise Le Point.
Le CFCM dans la ligne de mire
Mohammed Moussaoui, doctorant en mathématique et diplômé en sciences théologiques, a été une première fois élu à la tête du CFCM en 2008 sur la liste du Rassemblement des musulmans de France, qui représente les musulmans d’origine marocaine.
Il écourte son mandat en 2013 pour appliquer une réforme souhaitée par les autorités françaises en vue d’instaurer une présidence collégiale et tournante, une manière de neutraliser les rivalités entre les différents courants (notamment poussés par Alger ou Rabat). Moussaoui est désigné président du CFCM de janvier 2020 à janvier 2022 et sera remplacé par l’Algérien Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris.
Pour Le Point, Mohamed B. « serait derrière tous les grands projets de ces dernières années pour asseoir l’influence du Maroc sur de nombreuses mosquées françaises et contrer ainsi les intérêts du rival algérien, n’hésitant pas à faire pression sur tel ou tel représentant du culte local pour permettre l’ascension de son poulain, Mohammed Moussaoui ».
« D’après les informations du Point, les liens entre le président du CFCM et le Maroc sont aujourd’hui si forts que les quittances de loyer de l’appartement parisien occupé par Mohammed Moussaoui sont directement adressées à un certain Samir X., numéro 3 de la DGED à Paris. Ce dernier, qui agit sous couvert diplomatique – il est officiellement considéré comme attaché à l’ambassade du royaume du Maroc en France –, règle ainsi une note de plusieurs milliers d’euros par an », révèle-t-on encore.
« Ces relations et cette tentative d’ingérence du Maroc sont susceptibles d’inquiéter fortement au sommet de l’État »
– Le Point, hebdomadaire français
Pour l’hebdomadaire, « ces relations et cette tentative d’ingérence du Maroc sont susceptibles d’inquiéter fortement au sommet de l’État, alors que le ministre de l’Intérieur ambitionne de réformer en profondeur la gouvernance du culte musulman en France. Une réforme doit émerger en début d’année prochaine après une phase de consultation commencée cette année ».
Contacté par Le Point, le président du CFCM nie toute ingérence de Rabat dans ses missions : « La personne que vous présentez comme membre de la DGED [Mohamed B.], je l’ai toujours connue comme chargé de mission au ministère marocain des Affaires étrangères et de la Coopération. Il a été membre du comité bilatéral franco-marocain, formalisé par la déclaration commune franco-marocaine de septembre 2015, sur la coopération en matière cultuelle ».
Quant à ce loyer qui serait pris en charge directement par le royaume chérifien, Moussaoui a expliqué au Point que l’appartement qu’il occupait à Paris « appartient à l’ambassade du Maroc ».
« Cette dernière le met à ma disposition pour pouvoir assurer ma mission bénévole de gestion des trois dossiers [les imams et psalmodieurs marocains détachés en France, la formation des imams français au Maroc et les aides aux mosquées françaises, dans le cadre de la coopération franco-marocaine]. Une fois que ma mission sera terminée, notamment avec la fin des imams détachés en 2024 et la mise en place de formations d’imams en France, je ne disposerai plus de ce logement, dont d’ailleurs je n’aurai plus besoin. »