Ali Aarrass dénonce les tortures au Maroc : « Avec ces techniques, ils finiront toujours pour avoir gain de cause »

La rédaction

Ali Aarrass nous a donné rendez-vous dans son petit appartement, à Bruxelles.

C’est là qu’à 59 ans désormais, l’homme refait petit à petit sa vie, auprès de sa femme Houria, et de sa fille Amina. Une reconstruction pas à pas, après 12 années de privations, d’emprisonnement, et d’épisodes de torture affirme-t-il. Douze années passées à purger sa peine dans les prisons marocaines.

Hanté par ses souvenirs, Ali Aarrass ressasse encore sa disparition au monde.

« Les conditions de détention en isolement sont très très dures à accepter surtout pour un innocent, dit-il. Et le plus dur, c’est d’être entre ces quatre murs, je vous parle surtout du Maroc, et toutes vos doléances, toutes vos demandes, sont bafouées ; là vous vous sentez abandonné. »

Car Ali Aarrass clame surtout son innocence, et cela depuis son arrestation en Espagne.

Son histoire judiciaire débute pour le grand public le 1er avril 2008. En vacances chez son père qui habite dans l’enclave espagnole de Melilla, il est arrêté à la demande des autorités marocaines. Ce Belgo-marocain est accusé de trafic d’armes, pour le compte d’une organisation terroriste djihadiste. Il va être extradé, puis condamné au Maroc 15 ans de prison, ramenés à 12 ans en 2012.

Extradé, malgré un non-lieu

Il passera plus d’un an et demi en prison à Madrid. La justice espagnole va enquêter sur ses activités présumées, et le juge Baltasar Garzon va conclure à un non-lieu… Ali Aarrass va tout de même être extradé, les autorités marocaines modifiant leurs charges à son encontre.

Amer, Ali Aarrass sait bien aujourd’hui que c’est cette décision du gouvernement espagnol de répondre positivement à la demande d’extradition, qui déterminera le reste de sa vie : « S’il y a quelqu’un à qui je devrais en vouloir, c’est le gouvernement espagnol et à José Luis Zapatero (premier ministre socialiste espagnol à cette époque, ndlr), un gouvernement complice avec le Maroc, ajoute Ali Aarrass : « Et quand on parle du Maroc, on parle du Roi Mohamed VI, et le directeur général de la sûreté marocaine, Abdellatif Hammouchi. Ils sont les responsables de ce massacre, et des tortures abjectes qui m’ont été faites. »

Absence de soins médicaux, de nourriture comestible, « on était dans un zoo« , raconte-t-il.

Ils ont l’habitude de torturer, de massacrer, et ce n’est qu’après qu’ils te posent des questions.

Mais surtout, Ali Aarrass dénonce : les aveux sur lesquels s’est basée sa condamnation au Maroc, les seuls éléments fournis publiquement, auraient été forcés, obtenus sous la torture.

Aveux et tortures

Il raconte avoir subi des maltraitances pendant quatre jours, à son arrivée dans un centre de détention de la DST (Direction générale de la surveillance du territoire) , le centre de Temara. « Ils ont l’habitude de torturer, de massacrer, et ce n’est qu’après qu’ils te posent des questions. Les scènes de tortures sont horribles, abominables, inhumaines. On ne peut pas dire que ce sont des aveux, parce qu’à force de torture, après quatre jours, quand je n’ai pas cessé de leur dire que je n’avais rien à voir avec ces accusations, et ces armes qu’ils cherchaient, je me suis dit il faut que j’invente quelque chose. Ce ne sont pas des aveux… C’est impossible de résister, avec ces techniques, ils finiront toujours pour avoir gain de cause.« 

A ces souvenirs, Ali Aarrass faiblit, ses yeux s’emplissent de larmes. « Temara, c’est un centre secret, un centre pénitentiaire secret qui est là spécialement pour torturer les citoyens et les citoyennes marocaines. Au moment où j’étais sous la torture, j’ai entendu les cris d’une femme… C’était horrible… C’était horrible de voir une femme crier et eux, ils étaient en train de rigoler. Pour moi ils étaient en train de la violer… C’est connu ils font ça avec plein de gens, d’innocent pour en tirer des aveux. Le centre de Témara c’est un centre où l’on torture… Est-ce qu’on peut dire que c’est un Etat de droit, un Etat démocratique ?« 

Plus tard, d’autres éléments vont être interpellants dans ce dossier. Une vidéo montrera Ali Aarras, le dos marqué de coups, dans une cellule de la prison marocaine de Salé 2. Cette vidéo aurait été tournée par un gardien, en 2012, elle sera diffusée par la famille et les avocats d’Ali Aarras en 2015.

Un procès inéquitable ?

Le Belgo-marocain aurait-il été victime de mauvais traitements lors de sa détention au Maroc ? Ali Aarrass a-t-il été condamné sur la base d’aveux obtenus sous la torture ?

A cette question, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Juan Mendez, conclura après une expertise médicale, que les marques sur son corps étaient compatibles avec ses allégations. Le groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a lui aussi dénoncé la condamnation d’Ali Aarass, son procès n’était pas équitable et ses aveux ont été obtenus sous la torture, estimait-il. Ali Aarrass va entrer plusieurs fois en grève de la faim, pour protester. Les autorités marocaines seront invitées à mener une enquête.

Ali Aarrass est un djihadiste, qui est en train de détourner l’attention

Cette enquête a bien eu lieu, réagit aujourd’hui l’ambassadeur du Maroc en Belgique, Mohamed Ameur : « La question de la torture en 2011 a fait l’objet d’une expertise médicale qui a été ordonnée par le parquet, qui a désigné un collège de cinq médecins, qui ont examiné Ali Aarass, et qui ont conclu qu’il n’y avait aucune trace ou lésions, par rapport à des accusations de torture.« 

Une accusation récente, réfutée

Mohamed Ameur regrette : « Ali Aarrass est un djihadiste, qui est en train de détourner l’attention des médias et de certains politiques. »

Pour les autorités marocaines, qui se réveillent KO après les attentats de 2003 à Casablanca qui ont fait plus de 30 morts, la traque des extrémistes est en cours à cette époque. Et il n’y a aucun doute sur sa culpabilité et son appartenance à la mouvance djihadiste : « Ali Aarrass est un djihadiste qui fait diversion, ajoute Mohamed Ameur, avant même sa libération, il développe un stratagème pour détourner l’attention par rapport à son parcours djihadiste avéré. Ali Aarrass était l’artificier du groupe des Moujahidine, qui a mis son expertise en matière d’armes au service du groupe parce qu’il était un ancien de l’armée belge. Mais c’était aussi l’homme qui assurait le financement du groupe […] Ali Aarrass a introduit des dizaines d’armes au Maroc, avec l’intention de commettre des attentats.« 

Un djihadiste donc, c’est aussi ce qu’affirme tout récemment un autre djihadiste, Aberazzak Soumah, présenté comme un émir du groupe Harakat el Moujahidine. Cet homme, aujourd’hui repenti, dit dans une vidéo YouTube postée il y a à peine quelques jours, connaître Ali Aarrass, qui serait un membre actif de son groupe.

Ali Aarrass réfute, affirme qu’il ne connaît pas l’homme en question, qu’il ne lui a jamais adressé la parole, un homme qui aurait été enfermé dans la même prison que lui. « Cette personne a été arrêtée en 2012, puis graciée, alors qu’elle a été condamnée pour faits de terrorisme, et aujourd’hui, elle est à leur merci ! »

Un citoyen pas comme les autres ?

Aujourd’hui, Ali Aarrass veut continuer à se battre pour démontrer son innocence, pour « dénoncer tous ces crimes de torture« .

Libéré le 2 avril de l’année dernière, après avoir purgé l’entièreté de sa peine, sans remise, ni demande de grâce royale, il a cependant dû attendre des semaines et des mois sur le sol marocain avant qu’une autorisation de monter dans un avion vers la Belgique ne lui soit accordée.

En cette période de pandémie, les rapatriements de Belges à partir du Maroc se font au compte-goutte, et il n’a pas été parmi les premiers choisis. Une expérience qui ajoute à son amertume, et à son sentiment d’être abandonné par toutes les autorités. Ses proches s’étaient déjà mobilisés il y a des années, contre ce qu’ils qualifiaient d’abandon d’un citoyen de la part des autorités belges.

Pendant toutes ces années, Ali Aarrass n’a cependant pas cessé d’espérer, « l’espoir, je l’avais surtout en ma famille, dit-il. Ma fille qui se présentait tout le temps tous les jours toutes les nuits, je voulais la voir grandir… Et vivre avec elle des moments comme tout autre père. Oui, l’espoir était là tout le temps, mon épouse, mes parents, la sœur, mes frères… Sans espoir, on perd la raison et on tombe, on plie les genoux.« 

Libéré le 2 avril de l’année dernière, après avoir purgé l’entièreté de sa peine, sans remise, ni demande de grâce royale, il a cependant dû attendre des semaines et des mois sur le sol marocain avant qu’une autorisation de monter dans un avion vers la Belgique ne lui soit accordée. En cette période de pandémie, les rapatriements de Belges à partir du Maroc se font au compte-goutte, et il n’a pas été parmi les premiers choisis. Une expérience qui ajoute à son amertume, et à son sentiment d’être abandonné par toutes les autorités. Ses proches s’étaient déjà mobilisés il y a des années, contre ce qu’ils qualifiaient d’abandon d’un citoyen de la part des autorités belges.

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