« Plan Mattei » : l’Italie en quête d’un nouveau partenariat avec l’Afrique pour endiguer l’immigration
Bouchaib El Bazi
En accueillant vendredi 21 juin à Rome la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni a réaffirmé son engagement envers la « Plan Mattei », une initiative ambitieuse visant à réduire l’immigration clandestine en soutenant le développement économique des pays africains. Cette stratégie, bien que saluée par plusieurs partenaires européens et africains, soulève néanmoins des interrogations quant à sa faisabilité, ses moyens réels et ses visées géopolitiques.
Un plan pour « éliminer les causes profondes de la migration »
Depuis son arrivée au pouvoir en 2022, Giorgia Meloni a fait de la lutte contre l’immigration illégale l’une de ses priorités. Pour ce faire, elle défend une approche fondée sur l’aide au développement et la coopération économique avec l’Afrique. Le « Plan Mattei », du nom d’Enrico Mattei — fondateur d’ENI et figure emblématique d’une politique énergétique plus équitable avec les pays producteurs — s’inscrit dans cette logique.
La cheffe du gouvernement italien propose une enveloppe de 5,5 milliards d’euros répartis sur 14 pays africains, principalement en Afrique du Nord et subsaharienne. Ces fonds seraient mobilisés sous forme de subventions, de prêts et de garanties, et viseraient des secteurs clés comme l’énergie, les matières premières, l’eau, l’éducation et la santé.
Une portée européenne et géopolitique assumée
Soutenu par Ursula von der Leyen, le plan est également perçu comme une contribution italienne au projet européen « Global Gateway », l’alternative de l’Union européenne aux « Nouvelles Routes de la Soie » chinoises. La Commission européenne souligne d’ailleurs que ce programme global bénéficie d’un potentiel d’investissement de 150 milliards d’euros en Afrique.
Pour Rome, il s’agit aussi de renforcer sa position diplomatique sur le continent, alors que des pays comme la France voient leur influence reculer, notamment dans la région du Sahel. L’Italie entend jouer un rôle plus « acceptable », selon les termes du politologue Giovanni Carbone, en se démarquant de l’héritage colonial.
Des ambitions contestées par la réalité des moyens
Malgré les annonces, un rapport officiel publié en novembre dernier révèle qu’à peine deux milliards d’euros ont été effectivement alloués à des projets concrets. Les critiques pointent un décalage entre les ambitions affichées et la capacité réelle de financement. D’après Giovanni Carbone, « les financements disponibles restent modestes » et nécessitent un suivi rigoureux pour espérer des résultats tangibles.
De plus, l’efficacité du plan pour freiner l’immigration clandestine reste sujette à débat. Nombre d’analystes rappellent que les investissements économiques, aussi importants soient-ils, ne suffisent pas à enrayer à court terme les dynamiques migratoires, souvent liées à des facteurs complexes : instabilité politique, conflits, changement climatique, ou encore dette extérieure.
Réserves africaines et appels à la vigilance
Bien que plusieurs dirigeants africains aient accueilli favorablement la proposition italienne, le scepticisme n’est pas absent. Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a mis en garde contre les promesses non tenues. À son tour, le président kényan William Ruto a salué un « plan ambitieux » tout en rappelant que les investissements ne sauraient pallier à eux seuls les contraintes structurelles, notamment l’endettement et les faiblesses institutionnelles.
Par ailleurs, la sélection des pays bénéficiaires — excluant notamment l’Éthiopie, la Libye, le Sénégal et la Côte d’Ivoire — soulève des interrogations sur les critères politiques ou stratégiques ayant guidé ces choix.
L’implication du secteur privé italien
Des entreprises italiennes majeures, telles qu’ENI dans le secteur de l’énergie ou Terna dans les infrastructures électriques, participent activement au déploiement du plan. Des projets concrets sont déjà évoqués, comme le financement d’une ligne de chemin de fer entre la Zambie et l’Angola ou encore des investissements dans les biocarburants au Kenya.
Une stratégie à surveiller de près
Le « Plan Mattei » représente indéniablement une tentative structurée de redéfinir les relations euro-africaines à travers un prisme pragmatique , développement contre contrôle migratoire. Mais entre ambitions géostratégiques, ressources limitées et complexités locales, sa mise en œuvre nécessitera transparence, rigueur et concertation avec les pays partenaires pour éviter qu’il ne devienne un énième projet avorté sur l’autel des bonnes intentions. L’avenir dira si cette vision italienne pourra tenir ses promesses et s’imposer comme un modèle durable de coopération entre l’Europe et l’Afrique.