Belgique : quand la lutte contre l’immigration devient un contrôle d’identité à ciel ouvert

Aradane Majda

L’été arrive, les plages se remplissent, les autoroutes se bouchent… et la Belgique, elle, se barricade. Non pas contre la pluie – ce serait trop ambitieux – mais contre ces entêtés voyageurs d’un autre genre , les migrants irréguliers, ces champions du “tourisme administratif” que nos ministres appellent désormais avec un flegme technocratique “les pratiquants du shopping de l’asile”.

Dans une déclaration conjointe d’un lyrisme digne d’un colloque sur la fermeture du monde, le ministre de l’Intérieur Bernard Quintin (MR) et sa consœur Anneleen Van Bossuyt (N-VA), chargée de l’Asile et de la Migration (et visiblement de la rhétorique anxiogène), ont annoncé la mise en place, dès cet été, de contrôles aux frontières. Comprenez , patrouilles ciblées, barrages intelligents, fouilles élégantes et suspicions bien habillées. Sur les routes, dans les trains, aux arrêts de bus, sur les aires d’autoroute, et sans doute bientôt dans les compartiments de première classe des Thalys. Bref, tout ce qui roule ou marche à destination du Plat Pays.

Un GPS migratoire made in Schengen

Attention, ces mesures ne visent pas les touristes flamands revenant d’Italie avec un bronzage suspect, mais les “flux migratoires clandestins”, entendez ceux qui n’ont pas trouvé de créneau libre dans le grand Tetris administratif européen. Ceux qui, après avoir demandé asile en Italie, osent encore chercher un toit en Belgique. Un acte insensé, voire subversif, que la ministre Van Bossuyt qualifie de “shopping de l’asile”. Un terme charmant, entre vitrine sécuritaire et solde de compassion.

Mais ne soyons pas cyniques. Comme le rappelle Bernard Quintin, ces contrôles sont une “prise de responsabilité”. Ce qu’on appelle autrefois un “repli national”, ou plus exactement , un effort frontalier sans frontières logiques. Car soyons honnêtes , qui croit encore qu’une frontière routière peut freiner la misère humaine ? Qui pense qu’un barrage à La Panne va désamorcer les réseaux de passeurs ou empêcher le désespoir de traverser l’Europe avec une valise en plastique et une adresse floue à Molenbeek ?

Une Belgique aux portes fermées mais à la mémoire courte

Le problème, ce n’est pas qu’on contrôle – tout pays a le droit de maîtriser ses flux – mais qu’on s’obstine à le faire avec une stratégie inspirée d’un manuel de 1990. Comme si on pensait encore que l’immigration irrégulière est une affaire de train de nuit ou de covoiturage douteux. Pendant ce temps, aucune réforme structurelle de l’asile, aucun renforcement sérieux de l’accueil ou du traitement rapide des demandes. On préfère multiplier les signaux forts pour les électeurs, plutôt que les mesures efficaces pour la société.

Et puis, il y a cette ironie lourde ,  une Belgique qui a exporté tant de cerveaux, de bras et de rêves dans les années 60, se découvre soudain allergique aux vagues migratoires. Comme si elle avait oublié que son métro, ses hôpitaux et son économie informelle tiennent encore grâce à ceux qu’on filtre désormais à la frontière comme des intrus indésirables.

Une frontière dans la tête, plus que sur la carte

En fin de compte, ce plan de contrôle est moins un mur qu’un miroir , il reflète une obsession européenne à compartimenter l’humanité selon les tampons et les statuts. Derrière les déclarations de sécurité, c’est une logique de soupçon généralisé qui s’installe. Une façon de dire à ceux qui fuient les guerres, les régimes ou les naufrages ,« Merci de ne pas déranger, la Belgique est complète. »

Mais si vraiment l’objectif est d’endiguer les flux, peut-être faudrait-il commencer par arrêter de confondre gestion migratoire et gesticulation électorale.

 

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