Le nouveau front du djihadisme sahélien : quand les camps de Tindouf deviennent des incubateurs d’extrémisme
Bouchaib El Bazi
Des services de renseignement occidentaux tirent la sonnette d’alarme , le triangle sahélien – Mali, Burkina Faso et Niger – est en train de devenir l’épicentre d’une nouvelle poussée djihadiste. Dans une note confidentielle relayée récemment par le quotidien espagnol La Vanguardia, dix des principaux chefs de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) seraient issus des camps de Tindouf, ces zones administrées par le Front Polisario sous patronage algérien. L’information fait l’effet d’une onde de choc dans les cercles de sécurité européens.
Au-delà de l’inquiétude sécuritaire, c’est un appel direct aux dirigeants européens pour qu’ils cessent de considérer ces camps comme une affaire périphérique. Les implications sont régionales, mais aussi continentales. À mesure que les groupes extrémistes gagnent du terrain dans les zones rurales du Sahel, leur prochaine cible pourrait bien être les capitales : Bamako, Ouagadougou, Niamey. Et au-delà, l’Europe.
Tindouf : une bombe à retardement sécuritaire
Pendant longtemps, les camps de réfugiés sahraouis situés dans le sud-ouest algérien ont été présentés comme des espaces de résistance politique. Mais la réalité contemporaine est plus sombre , enclavés, marqués par la précarité et l’absence d’avenir pour des milliers de jeunes, ces camps sont devenus des terrains fertiles pour le recrutement djihadiste.
Selon Mohammed Tayyar, président de l’Observatoire marocain d’études stratégiques, ces camps sont frappés par des situations familiales déstructurées – enfants abandonnés, veuves de combattants tombés au sein d’Al-Qaïda ou de Daech. Une détresse humaine qui alimente un cycle de radicalisation. Parmi les figures emblématiques issues de ces camps, on retrouve Adnan Abou Walid al-Sahraoui, fondateur du groupe « État islamique dans le Grand Sahara », abattu en 2021 par les forces françaises.
Les fantômes de l’Espagne
Une autre révélation troublante concerne les liens entre les chefs djihadistes et l’Espagne. Plusieurs d’entre eux ont participé, durant leur enfance, à un programme humanitaire qui leur permettait de passer leurs vacances estivales chez des familles espagnoles. Une expérience qui leur a offert une familiarité linguistique et culturelle avec l’Europe… aujourd’hui potentiellement exploitée pour faciliter l’infiltration ou l’orchestration d’attentats.
« Les seuls chrétiens qu’ils ont connus sont ces familles espagnoles qui les accueillaient à l’époque », confie une source sécuritaire. Une ironie amère qui souligne la perméabilité inattendue entre ces mondes.
L’Europe face à ses contradictions
Les experts s’accordent sur un point , l’attentisme européen est devenu dangereux. À force de considérer les camps de Tindouf comme un angle mort de la sécurité régionale, l’Union européenne laisse s’installer une menace structurelle à ses portes. « Il ne s’agit plus seulement d’un enjeu humanitaire ou diplomatique entre le Maroc, l’Algérie et le Front Polisario », tranche un analyste sécuritaire à Rabat. « Il s’agit d’un problème de sécurité nationale pour l’Europe. »
Le Maroc, lui, n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme. Acteur clef dans la lutte contre le terrorisme et la gestion des flux migratoires vers le continent européen, il appelle depuis plusieurs années à une approche globale , démantèlement progressif des camps, réintégration sociale des populations, et coopération étroite entre les services de renseignement.
Les routes de l’ombre
Les organisations extrémistes exploitent déjà les routes migratoires. Selon des sources de renseignement, les changements récents dans les tactiques des groupes comme Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin ou ISWAP leur permettent de s’infiltrer plus facilement via les réseaux de passeurs. Les membres de l’ethnie Peul (ou Fulani), dont une grande partie vit dans ces régions frontalières, forment l’un des viviers privilégiés de recrutement pour ces groupes.
l’illusion de la distance
En fermant les yeux sur les risques qui émanent des camps de Tindouf, l’Europe se berce d’une illusion dangereuse. Le Sahel n’est plus un simple théâtre de guerre lointain ; c’est une fabrique à instabilité aux portes du Vieux Continent. Si rien n’est fait, ce qui n’est aujourd’hui qu’un foyer de radicalisation pourrait bien devenir demain un point de départ pour de nouvelles vagues de violence.