Bruxelles sans gouvernement, mais avec Rudi , chronique d’une éternité provisoire
Aradane Majda
Un an. Douze mois. Trois cent soixante-cinq jours. Et toujours pas de gouvernement bruxellois. Pendant que les plantes vertes du Parlement régional commencent à développer des formes de conscience supérieure à force de silence institutionnel, Rudi Vervoort, lui, reste assis sur le trône régional comme un moine zen à qui personne n’a dit que le gong avait déjà sonné.
Invité de la matinale de Vivacité Bruxelles, le ministre-président sortant — ou plutôt restant — a livré une interview qui sentait bon la résignation active, le compromis impossible et le café tiède. Morceaux choisis d’un entretien où l’absurde politique belge atteint, sans se forcer, des sommets d’élégance molle.
Le capitaine du Titanic explique qu’il a bien vu l’iceberg
Interrogé sur l’état de la planète, de l’Europe, de Bruxelles (dans cet ordre), Vervoort s’est lancé dans une vaste méditation sur la complexité du monde. « Le citoyen a de vraies difficultés à appréhender la complexité », dit-il. Lui, en revanche, l’a appréhendée, la complexité. Il l’a même caressée du bout des doigts, avant de conclure qu’on ne peut pas tout faire, surtout quand on n’a pas d’argent. Une sorte de stoïcisme budgétaire, façon PS , on sait où ça fait mal, mais on n’a pas la pommade.
La cohésion sociale comme cache-misère
Face aux questions sur la dette, l’insécurité, les commerces qui ferment et les tirs de kalachnikov à Forest, Rudi reste stoïque : « L’enjeu majeur, c’est la cohésion sociale ». On aurait cru entendre un moine bouddhiste réciter un mantra au milieu d’un incendie. Il insiste , malgré tout, le « modèle bruxellois » fonctionne plutôt bien. Il faut dire que quand la barre de comparaison est posée à hauteur de la Bérézina, tout ressemble à une réussite.
Tram, tunnels et dette : l’art du trop-plein
« On en a fait trop, et trop en même temps », admet Vervoort, dans un éclair de lucidité presque coupable. Bruxelles a investi partout , dans les trams, l’électrification, la mobilité, sauf dans les tunnels, qu’on a un peu oubliés comme on oublie de payer une amende de stationnement. Aujourd’hui, il faudrait fermer certains d’entre eux ? Inenvisageable. On a trouvé des milliards pour la Flandre, mais pas pour les logements sociaux. Priorités, vous avez dit ?
Le PTB, ce parti qui vend du vent en canette
Quand on l’interroge sur la montée du PTB, Vervoort lève à peine un sourcil. « Ce parti repose beaucoup sur du vent ». L’homme qui gouverne une région sans gouvernement depuis un an critique un parti pour son manque de concrétude , on frôle l’oxymore institutionnel. Pourtant, il ne nie pas la perte de terrain : le PS ne fait plus rêver l’électorat populaire, et Rudi semble le reconnaître sans trop s’émouvoir, comme un chef cuisinier qui explique que ses clients préfèrent le fast-food depuis qu’il a enlevé la frite de la carte.
Georges-Louis Bouchez, l’invité non grata
Pas de vrai portrait politique sans mention de GLB, le caillou dans toutes les chaussures belges. Vervoort ne le nomme pas directement comme responsable du blocage, mais ses soupirs sont plus éloquents que mille accusations. « Je ne suis pas sûr qu’il fasse partie de la solution », dit-il, façon bruxelloise de dire « il est aussi utile qu’un feu rouge sur l’E40 un dimanche matin ».
L’IA, les réseaux sociaux et les marins français
Rudi Vervoort aime l’histoire, surtout celle de la marine. Il lit Loïc Guermeur sur Facebook, un réseau qu’il considère comme « relativement apaisé ». Il fuit TikTok, les Reels, les selfies et le monde d’après comme un héron fuit un Jet Ski. Il le dit lui-même : « Je ne suis plus un modèle adapté à la réalité d’aujourd’hui. » On le croit sans peine.
L’éthique en politique : encore un concept vintage
Pas de guerre du Vietnam à Bruxelles, mais des limites qu’on respecte, assure-t-il. « Il y a une certaine éthique qui demeure. » Certes, les coups tordus existent, surtout en campagne. Mais au moins, on ne bombarde personne pour gagner une élection — sauf peut-être sur Twitter.
Le mot de la fin : oui, il faut continuer
Malgré tout, Vervoort encourage les jeunes à faire de la politique. Pas pour devenir stars d’Instagram, mais parce que, dit-il, il faut bien que quelqu’un continue à éteindre la lumière le soir. Quant à son propre avenir, il semble déjà en demi-retraite , il ne fait plus vraiment campagne, ne court plus les micros, et regarde la montée du populisme avec une inquiétude posée. Un peu comme un capitaine de bateau-mouche observant une tempête au large.
Rudi Vervoort est un personnage bruxellois à part , ni flamboyant, ni médiatique, ni vraiment charismatique. Mais il est encore là. Ce qui, à Bruxelles, est déjà une forme de miracle administratif. Pour combien de temps encore ? Lui-même ne le sait plus très bien. Mais il veille. En silence. En costard. En plein milieu du vide.