Maroc : le gaz comme levier de souveraineté (et de diplomatie bien huilée)

Intisar Azmizam

Dans le royaume du soleil et des ambitions vert émeraude, une révolution énergétique se joue loin des caméras… et des barils de pétrole. Le Maroc, pays réputé pour ses tajines, son phosphate et ses négociateurs discrets, est désormais bien décidé à s’inviter à la table des puissances gazières. Non pas en sortant du sol des geysers de méthane, mais en tirant intelligemment les tuyaux.

Bienvenue dans le Maroc 2030, celui qui rêve de gaz naturel, de ports connectés et de pipelines transcontinentaux, avec la même ferveur qu’il applique à défendre sa cause nationale , la marocanité du Sahara. Mais attention, ici, le gaz n’explose pas. Il s’organise, se canalise, et surtout… se politise.

Trois ports, une vision , gazer sans s’essouffler

C’est une partition à trois temps que joue Rabat : Nador West Med, le port atlantique (Mohammedia ou Jorf Lasfar) et Dakhla Atlantique, tous bientôt reliés non par un fil conducteur, mais par un tuyau bien rempli , celui de l’ambition gazière. On parle ici de carburant de transition, mais aussi de transition géopolitique , un Maroc qui ne se contente plus de recevoir, mais qui redistribue — vers l’Europe, l’Afrique, et potentiellement vers ceux qui, jusqu’ici, l’ignoraient.

Le terminal GNL à Nador, en particulier, vise à réactiver (et détourner intelligemment) les anciennes infrastructures du gazoduc Maghreb-Europe. Car si l’Algérie a décidé de fermer le robinet, le Maroc, lui, a décidé de rebrancher le tuyau dans l’autre sens. C’est ce qu’on appelle du recyclage stratégique.

Le gaz nigérian , 5600 km de diplomatie souterraine

Le joyau du projet, c’est bien sûr le gazoduc Nigeria-Maroc, une œuvre d’art géopolitique de 5600 km, traversant 13 pays africains, tous invités à la grande messe de la coopération Sud-Sud — concept dont Rabat a fait sa spécialité diplomatique. Une sorte de Route de la Soie version ouest-africaine, mais où l’on échange du gaz contre de la stabilité, du développement… et un peu de reconnaissance territoriale.

Car faire passer un pipeline par le Sahara, ce n’est pas qu’un projet énergétique. C’est aussi une affirmation territoriale à haut débit. Dakhla n’est plus seulement la perle du kitesurf, mais une future plateforme énergétique, logistique, et — pourquoi pas — électorale.

Quand le gaz sert aussi à gonfler la stature internationale

Ne nous y trompons pas , si le Maroc pompe de l’énergie, il produit surtout de la légitimité géopolitique. Le royaume chérifien se positionne comme une passerelle énergétique entre l’Afrique et l’Europe, un hub respecté, financé par les grands (Banque islamique de développement, OPEP Fund, etc.), mais géré localement avec méthode, patience… et un peu de calcul.

C’est que dans un monde où l’Europe grelotte à la moindre tension russo-ukrainienne, les tuyaux africains deviennent des sésames diplomatiques. Rabat l’a compris , l’or bleu se trouve aussi dans les dossiers Excel des ministères, pas seulement sous terre.

Une stratégie verte… avec un peu de gaz pour le moral

Le gaz, au Maroc, ce n’est pas une fin en soi, c’est un tremplin. La transition énergétique est en marche, portée par une ambition de taille , 52 % d’énergie renouvelable dans le mix électrique d’ici 2030. Et pour y parvenir, il faut bien un carburant transitoire, propre et stable, avant de passer au plat de résistance , le hydrogène vert, nouvelle marotte technologique de Rabat.

Mais ce qui distingue le Maroc dans cette aventure, ce n’est pas seulement son soleil ou son vent, c’est sa capacité à monter des projets structurants tout en défendant ses intérêts stratégiques. Du gaz à la géopolitique, il n’y a qu’un pipeline.

l’avenir est dans les tuyaux (et les câbles diplomatiques)

Alors que d’autres pays de la région préfèrent multiplier les sommets sans lendemain, le Maroc, lui, creuse. Littéralement. Ports, terminaux, gazoducs, accords multilatéraux, le royaume pose méthodiquement les jalons d’une souveraineté énergétique qui parle plusieurs langues , celle de la coopération sud-sud, de l’intégration régionale, mais aussi du réalisme politique.

Le gaz ne fait peut-être pas rêver comme le solaire ou l’éolien. Mais dans les mains marocaines, il devient une arme douce, une stratégie à combustion lente… et une démonstration que la diplomatie énergétique n’a pas besoin d’exploser pour faire du bruit.

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