Bruxelles ou Frères-ville ? Quand l’Europe redécouvre que les musulmans existent
Intisar Azmizam
Dans la grande tradition européenne de désigner un coupable par décennie, l’heure semble être venue de ressusciter le spectre préféré des plateaux télé , l’islam politique. Et cette fois, c’est la Belgique, ce paisible royaume de gaufres, de surréalisme et de compromissions communautaires, qui se retrouve bombardé « plaque tournante de l’islamisme européen ». Rien que ça.
L’alerte a été donnée par Assita Kanko, eurodéputée N-VA (et sentinelle autoproclamée de l’identité européenne en péril), qui réclame, avec 33 collègues tout aussi alarmés, l’ouverture d’une « enquête sérieuse » sur l’entrisme islamiste. Une requête pleine de gravité, relayée sur le plateau de Martin Buxant, où l’on a visiblement décidé que le mois de juin serait consacré à la peur du turban.
Le coup de feu est parti d’un rapport français – encore eux ! – qui qualifie la Belgique, et plus précisément Bruxelles, de « carrefour européen de la mouvance frériste ». Avec une précision chirurgicale, le rapport pointe du doigt cinq communes, dont les inévitables Molenbeek et Saint-Josse, où les barbes longues et les prénoms exotiques seraient devenus, selon certains experts, synonymes de “contrôle idéologique”.
On nous parle d’un réseau « dense », de 200 individus « identifiés » (sur plus de 11 millions d’habitants), liés à des structures comme la Ligue des musulmans de Belgique, le CIIB ou Femyso. Bref, quelques salles de prière, trois associations culturelles et un groupe WhatsApp, rebaptisés « menace civilisationnelle » dans les couloirs de Strasbourg.
Mais Assita Kanko ne s’arrête pas là. Elle exige une enquête sur les tribunaux parallèles, les écoles, les ONG, les subventions, et pourquoi pas les kebabs halal. Tout y passe. Elle affirme avoir “vécu 15 ans à Bruxelles” et avoir “vu”, comme on dit “j’ai vu des choses”, façon film de science-fiction post-apocalyptique.
Et bien sûr, impossible de conclure sans le grand classique , le voile. Selon la députée, il ne s’agit pas simplement d’un bout de tissu, mais d’un symbole d’asservissement, voire d’un instrument d’entrisme islamique. On attend avec impatience le prochain rapport sur la menace existentielle que représente la babouche ou la soupe harira.
La vérité, bien sûr, est plus ennuyeuse. Oui, il existe des courants religieux conservateurs en Belgique. Oui, certaines organisations s’inspirent des Frères musulmans. Mais de là à parler d’infiltration systématique, il y a un pas que seule la panique identitaire permet de franchir sans se fatiguer.
Pendant ce temps, les vrais défis – pauvreté urbaine, discrimination structurelle, manque de politiques d’intégration dignes de ce nom – sont relégués au second plan. Car il est toujours plus facile de pointer du doigt une « communauté » que de réformer des institutions.
Alors oui, on veut bien une enquête. Une vraie. Mais pas sur les barbus de Molenbeek. Sur la manière dont certaines élites européennes réchauffent à chaque élection le vieux plat du péril musulman, pendant qu’elles laissent moisir les banlieues et stagner le débat public.
Et si Bruxelles est vraiment une plaque tournante, ce n’est peut-être pas celle qu’on croit.