Avocats israéliens en terre chérifienne : l’irrigation au goût amer du “start-up nation”

Bouchaib El Bazi

C’est une histoire d’amour. Non pas entre un agriculteur et sa terre, mais entre le gouvernement marocain et son partenaire d’outre-Méditerranée : Israël. Une passion agricole aussi lucrative que desséchante. En 2021, l’idylle prend forme quand la société israélienne Mehadrin plante son drapeau — et ses avocats — sur 500 hectares des meilleures terres du Maroc. Objectif , produire 10 000 tonnes d’avocats par an. Coût de la galanterie ? Huit millions de dollars. Coût pour les nappes phréatiques marocaines ? Dix milliards de litres d’eau annuels. Un partenariat gagnant-perdant.

On connaissait le « deal du siècle ». Voici le « deal du siècle… à l’hectare ». Une opération qui fait rougir les tomates locales et pleurer les oranges du Souss. Car pendant qu’Israël récolte des fruits juteux sous label « Made in Morocco » pour profiter des accords de libre-échange avec l’Union européenne, le contribuable marocain, lui, paie la note en m³. Chaque avocat pèse un kilo… et chaque kilo exige 1000 litres d’eau. Oui, mille. Pour une bouchée verte de tendance Instagram, on vide nos barrages comme on vide nos poches.

Écosystème sous stéroïdes, démocratie en jachère

Israël ne vend pas seulement ses avocats. Elle vend aussi un modèle. Un modèle fondé sur la maximisation du rendement, la domination des semences hybrides, et un lobbying bien arrosé. Depuis les années 1990, les graines israéliennes poussent dans nos champs, parfois OGM, souvent stériles. La tomate marocaine ? 80 % issue de semences importées et inutilisables pour replantation. Une souveraineté alimentaire made in Tel-Aviv, arrosée à l’engrais diplomatique.

Et pendant ce temps, les citoyens regardent les nappes baisser, les pluies fuir, et les hectares se transformer en monocultures qui enrichissent une minorité. La petite paysannerie, elle, arrose encore à la goutte, mais boit la tasse.

Encadré : Le fruit défendu… mais fiscalement avantageux

Pendant que les avocats israéliens, choyés sous les cieux marocains, prennent la route de l’Europe drapés d’une étiquette “Made in Morocco” pour mieux échapper aux droits de douane, les véritables avocats du terroir, ceux du fellah local, pourrissent en silence. Pas de certification, trop de charges, aucune chance. Résultat ? Une souveraineté agricole réduite en purée, broyée entre les griffes d’un libre-échange asymétrique et d’une diplomatie d’arrosoirs. Le tout nappé, bien entendu, d’une fine couche d’huile bio extra vierge – pour la cosmétique médiatique.

Et le gouvernement dans tout ça ?

Il a réagi. Un peu. Comme on jette un seau d’eau sur un champ en feu. Fin 2023, Rabat suspend les subventions à l’irrigation de l’avocat. Une décision courageuse… sur le papier. Dans les faits, ce sont les petits producteurs qui trinquent. Les géants, eux, ont de quoi arroser leur trésorerie sans l’aide de l’État.

Pendant ce temps, les chiffres prospèrent : 139 millions de dollars de revenus à l’export en 2023, un objectif de 100 000 tonnes d’ici 2027, et des dizaines de milliers de mètres cubes pompés, aspirés, évaporés. L’eau, cet or bleu dont le Maroc manque cruellement, file dans les racines d’un fruit au goût de libéralisme hydrocolonial.

Avocat pour les riches, poussière pour les autres

Dans un pays où 23 % seulement de la capacité des barrages est aujourd’hui remplie, où les zones rurales souffrent de stress hydrique chronique, où les cultures vivrières se meurent, ce modèle économique a un nom,  l’absurde.

Mais réjouissons-nous , Israël devient un partenaire stratégique, les marchés européens raffolent de nos avocats, et nos champs deviennent des catalogues pour startups agricoles.

Il ne manque plus qu’une mention sur les étiquettes , « Cultivé au Maroc, arrosé par les larmes de ses paysans. »

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