Bienvenue chez vous… mais ailleurs : chronique d’un exil intérieur à la marocaine

Bouchaib El Bazi

 Pour accueillir les touristes du Mondial 2030, les autorités marocaines réaménagent les villes… en expulsant leurs propres citoyens vers la périphérie. Les maisons tombent, les rêves aussi.

Au Maroc, la Coupe du monde 2030 s’annonce déjà comme un succès… pour les bétonneurs, les promoteurs et les hôtels cinq étoiles. Pour les habitants des quartiers populaires du centre-ville, c’est une tout autre chanson , un air d’expropriation aux accents de bulldozer.

À Casablanca, Marrakech, Tanger et ailleurs, on vide. On rase. On repeint l’image urbaine à coups de marteau-piqueur. L’objectif ? Faire joli pour les caméras internationales. Parce que, bien sûr, un bidonville ou un quartier vieillissant fait tache dans un drone-show FIFA. Et tant pis pour ceux qui y vivent depuis des générations.

Tadart, Californie… et l’ironie géographique

Prenons l’exemple croustillant — pardon, poignant — du quartier de Tadart dans la zone dite de Californie, à Casablanca. Ici, le mètre carré n’est pas vendu, il est ciselé comme une bague en or , des millions de dirhams pour quelques pas de carrelage. Pourtant, les habitants ont été gentiment — façon bulldozer — invités à plier bagage.

Pourquoi ? Parce que l’endroit est trop stratégique pour qu’il reste entre les mains de simples citoyens marocains. On y veut des villas, du marbre italien, du silence bourgeois. Et surtout , pas de linge qui sèche aux fenêtres, ni de vieux canapés dans les cours. Le tourisme, c’est sérieux.

La procédure est limpide : Kafka n’aurait pas fait mieux

D’abord, on vous informe poliment — parfois par haut-parleur, parfois par affiche collée de travers — que votre maison, votre histoire, vos souvenirs… seront détruits. Ensuite, on vous invite à partir, dignement bien sûr, avec à la main une promesse de dédommagement qui ferait rougir un vendeur de cacahuètes. Si vous êtes chanceux, on vous refile un terrain vague à trente kilomètres de toute vie, sans eau ni électricité. Si vous ne l’êtes pas, vous repartez avec un sourire administratif et… rien. Et lorsque, par un étrange miracle, vous osez protester, on s’étonne : “Mais pourquoi tant de colère ?”

Pas de plan de relogement clair. Pas de solution de rechange. On appelle cela « réhabilitation urbaine ». Les familles, elles, parlent plutôt de déportation sociale.

Des villes vidées de leur âme… pour des selfies mondialisés

Le plus ironique, c’est que ces quartiers n’étaient pas que des amas de briques. Ils étaient vivants, avec leurs cafés de coin, leurs boucheries de proximité, leurs voisins qui se chamaillent pour une place de parking. Tout cela est balayé au nom d’un urbanisme de vitrine.

Et pendant que certains rêvent de voir Messi à Rabat, des centaines de familles cherchent un coin où dormir. Des pères de famille dorment dans leurs voitures. Des mères vivent chez des cousins. Des enfants changent d’école comme on change de trottoir. Le droit au logement ? Un concept trop compliqué à intégrer dans les plans d’aménagement paysager.

Dédommagement” : ce mot qui fait rire jaune

À Tadart comme ailleurs, le terme “dédommagement” sonne comme une mauvaise blague. Une famille de six personnes, expulsée d’un terrain hérité depuis 1950, s’est vue proposer royalement 60 000 dirhams pour plier bagage. Une somme qui ne couvre même pas trois mètres carrés dans un quartier où le mètre se négocie entre 20 000 et 35 000 dirhams. Et pour espérer un modeste appartement à la périphérie ? Comptez au bas mot 500 000 dirhams. Résultat , certains s’entassent chez des proches, d’autres s’endettent jusqu’au cou, et les moins chanceux découvrent malgré eux les joies de la rue ou du logement informel. Le tout, emballé dans le papier cadeau d’une “vision urbaine” qui oublie volontairement ses habitants.

 la patrie ou le décor ?

En 2030, le monde entier applaudira les stades du Maroc, les avenues propres et les palmiers bien alignés. Mais qui applaudira les citoyens invisibles qu’on a déplacés ? Qui racontera leurs histoires ? Certainement pas les guides touristiques.

Et dans vingt ans, quand les souvenirs du Mondial auront disparu, il restera des quartiers aseptisés… et des citoyens exilés à l’intérieur même de leur pays.

 

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