Québec : vers un resserrement prudent de la politique migratoire

Hanane El Fatihi

Alors que les pressions démographiques, économiques et identitaires s’entrecroisent, le gouvernement Legault s’apprête à réévaluer les seuils d’immigration dès 2025. Une décision qui pourrait affecter des milliers de ressortissants étrangers, dont de nombreux Marocains.

Le ton est donné, et la direction semble claire. Québec envisage de revoir à la baisse ses seuils d’immigration pour l’année prochaine, une orientation confirmée par plusieurs médias canadiens cette semaine. Trois scénarios sont actuellement à l’étude : accueillir 25 000, 35 000 ou 45 000 nouveaux arrivants par an à partir de 2025. Une éventualité qui marquerait une rupture avec les tendances des dernières décennies, où l’immigration était perçue comme un moteur de croissance économique et démographique.

Un contexte de saturation

Le ministre québécois de l’Immigration, Jean-François Roberge, avait déjà annoncé en octobre dernier qu’une réévaluation était en cours. Avec plus de 616 000 immigrants temporaires recensés au 1er janvier 2025 selon Statistique Canada, le Québec fait aujourd’hui face à une pression considérable sur ses services publics, notamment en santé, en logement et en éducation.

Les régions de Montréal et de Laval, épicentres de l’immigration, devraient être particulièrement touchées par la baisse projetée du nombre de travailleurs temporaires. Une mesure qui affectera directement des milliers de candidats, notamment issus du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine, attirés par les opportunités économiques et universitaires offertes par la province.

Étudiants étrangers également visés

Autre catégorie concernée : les étudiants internationaux. Le gouvernement a déjà tranché en ce qui les concerne : en 2025, le Québec accueillera environ 32 000 étudiants de moins qu’en 2024. Une décision prise par décret, sans attendre la planification pluriannuelle prévue cet automne.

Cette restriction pourrait avoir un impact significatif sur les universités et les collèges québécois, dont plusieurs dépendent fortement des droits de scolarité des étudiants étrangers. Elle affectera également les communautés d’origine, notamment les jeunes Marocains nombreux à fréquenter les établissements postsecondaires au Québec, souvent comme tremplin vers une résidence permanente.

Des voix discordantes

Face à cette tendance au resserrement, certains experts et institutions plaident pour une vision plus ambitieuse. L’Institut du Québec, dans un rapport publié mercredi, suggère de porter les seuils à 90 000 nouveaux arrivants annuellement. L’idée ? Faciliter la transition vers la résidence permanente pour les immigrants temporaires déjà installés, tout en assurant un ralentissement graduel à long terme.

« Une réduction trop brutale créerait une discontinuité économique et démographique difficilement rattrapable », avertit Mia Homsy, directrice générale de l’Institut. L’organisme insiste également sur le rôle des immigrants dans la croissance du PIB, la stabilisation du marché du travail et le renouvellement démographique d’une province vieillissante.

Un débat éminemment politique

Derrière les chiffres se cache une réalité éminemment politique. Le gouvernement Legault, élu en partie sur la promesse de préserver la spécificité francophone du Québec, cherche à équilibrer les impératifs économiques et l’identité culturelle. La baisse des seuils répond à une demande croissante d’une partie de la population qui perçoit l’immigration massive comme une menace potentielle à l’intégration linguistique et sociale.

La consultation des experts prévue cet automne s’annonce donc cruciale. Elle devra arbitrer entre la nécessité d’assurer l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants, et la volonté politique de freiner temporairement les flux migratoires.

Une incertitude persistante pour les candidats marocains

Pour de nombreux ressortissants marocains, la situation est source d’inquiétude. Le Québec, longtemps perçu comme une terre d’accueil stable et accessible, pourrait devenir un terrain plus sélectif. Les projets d’études, d’emploi ou de regroupement familial pourraient être compromis ou différés. Plusieurs agences de conseil en immigration, basées à Casablanca et Rabat, affirment déjà observer un ralentissement des dossiers déposés et une montée des demandes vers d’autres provinces canadiennes, jugées plus ouvertes.

Entre gestion pragmatique et débats identitaires, la politique d’immigration du Québec entre dans une nouvelle phase. Elle impose une réflexion lucide, tant aux gouvernants qu’aux candidats à l’immigration, sur la capacité d’accueil réelle d’un territoire, mais aussi sur la vision que le Québec souhaite porter à long terme : celle d’une province repliée sur elle-même, ou celle d’un espace francophone ouvert sur le monde.

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