Gaza, mode d’emploi pour une indignation sélective

Chef du pôle International Par Bouchaib El Bazi

À Gaza, les morts s’empilent à un rythme si soutenu qu’il faudrait peut-être leur consacrer un tableau Excel plutôt qu’un bulletin d’information. 100 par-ci, 60 par-là, un « pic » de 300 les bons jours. La tragédie s’étale à la une, les images circulent, les enfants gisent, les hôpitaux croulent, les voix s’élèvent… et puis se taisent, trop souvent, dès qu’il faut nommer les choses.

Oui, « génocide » est un mot lourd. Il dérange les salons, embarrasse les chancelleries, donne des boutons aux éditorialistes trop bien peignés. Alors on l’évite, on le contourne, on lui cherche un synonyme plus digeste , “guerre asymétrique”, “opération militaire ciblée”, voire, dans un moment d’audace, “drame humanitaire”. Mais sûrement pas un génocide – n’exagérons rien, tout de même.

Pourtant, dans cette enclave réduite à l’état de terrain vague sous drones, ce mot s’invite de plus en plus dans les débats. Il s’impose, s’impatiente, pousse les consciences à bout. Car quelle autre définition donner à la destruction méthodique d’un peuple piégé, bombardé, affamé, privé d’eau, d’électricité, d’humanité ? La question de l’« intention », paraît-il, reste à trancher. Il faut prouver que c’était volontaire. Comme si on tuait 36.000 civils par inadvertance, entre deux pauses café.

Et pendant qu’on palabre sur la sémantique dans les couloirs feutrés des Nations unies, les Palestiniens meurent pour de bon, eux. Ils n’ont pas le luxe du débat. Ils n’ont ni commission d’enquête, ni plateau télé, ni droit de réponse. À Gaza, on meurt en silence, sous les décombres, avec ou sans intention.

Il faut dire que l’indignation internationale a ses préférences. Elle sait se montrer véhémente contre certains, magnanime avec d’autres. La géopolitique, voyez-vous, a le cœur qui penche à droite. L’humanisme, lui aussi, obéit à des logiques d’alliances. On bombarde une école ? On vérifiera d’abord si les enfants portaient l’uniforme de la bonne victime.

Et quand l’État israélien répond aux crimes d’un groupe armé par la punition collective de deux millions de civils, on entend encore des voix sages appeler à la nuance. Ne pas confondre le Hamas et les Palestiniens, certes. Mais dans la pratique, les bombes, elles, ne font pas cette distinction.

Alors oui, on peut toujours débattre sur les mots. C’est plus confortable que d’ouvrir les yeux. Mais à ce stade, l’histoire tranchera pour nous. Et elle se souviendra que face à l’atrocité, nous avons hésité, relativisé, calculé.

Il faut croire qu’il y a des génocides plus faciles à nommer que d’autres.

Encadré contextuel :

  • Nombre de morts à Gaza (à date de juin 2025) : +36.000
  • Proportion de femmes et d’enfants : 70%
  • Nombre d’hôpitaux hors service : 27 sur 36
  • Population déplacée : +1,7 million sur 2,3 millions
  • Nombre de condamnations officielles du Conseil de sécurité de l’ONU : Zéro
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