Belgique : La police roule des mécaniques, les enfants tombent… et le ministre temporise
Intisar Azmizam
Encore une trottinette. Encore un enfant. Encore une course-poursuite terminée dans un drame. Mais cette fois-ci, l’indignation est montée d’un cran, et c’est dans l’hémicycle feutré de la Chambre que le choc a rebondi , Fabian, 11 ans, percuté mortellement par un SUV de police à Ganshoren, est devenu malgré lui le symbole d’une cavale institutionnelle où les responsabilités, elles, continuent de fuir à toute vitesse.
Le ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin, a répondu. Enfin… il a parlé. Dans un exercice d’équilibrisme bureaucratique digne des meilleurs contorsionnistes, il a exprimé de la compassion, de l’émotion, de la douleur partagée — beaucoup de mots — mais très peu d’actions concrètes. « Nous attendons les résultats des enquêtes », a-t-il déclaré, comme si cette phrase n’était pas déjà recyclée depuis la mort de Mawda en 2018, celle de Mehdi en 2019, ou d’Adil en 2020. La Belgique semble maîtriser l’art de l’enquête sans fin mieux que celui de la prévention rapide.
Le ministre s’est rendu auprès de la famille. Vingt minutes, montre en main. Le temps d’exprimer « les condoléances du gouvernement » et de promettre que « le cœur du royaume saigne ». Puis retour au Parlement, et surtout, retour au flou. Car au fond, que propose le ministre ? Une formation « à renforcer », un cadre « à préciser », et surtout une grande prise de conscience : « Il y a beaucoup de vélos et de trottinettes aujourd’hui. Il faut en tenir compte. » Merci, capitaine évidence.
Mais au-delà des formules creuses, une question brûle toutes les lèvres , que faisait un véhicule de police dans un parc, lancé à la poursuite d’un enfant de 11 ans ? L’ironie tragique, c’est que cet âge-là ne donne même pas le droit de monter légalement sur une trottinette. Alors pourquoi était-il visé par une intervention musclée ? À défaut d’interpeller les jeunes, on finit par les faucher.
Certains députés ont osé poser les bonnes questions. « Combien d’enfants doivent encore mourir pour que l’on réagisse ? » s’indigne Rajae Maouane. « Depuis 2019, des recommandations existent déjà ! » rappelle Denis Ducarme. Mais apparemment, la seule chose que l’on sache vraiment poursuivre en Belgique, c’est le statu quo.
Il faut dire que, dans un pays où la police peut s’introduire en SUV dans des parcs pour rattraper des adolescents, tout en invoquant la sécurité publique, on finit par se demander si la formation dont parlent les ministres n’est pas celle de cascadeurs hollywoodiens plutôt que celle d’agents de proximité.
La mort de Fabian n’est pas une simple bavure. C’est un symptôme. Le symptôme d’un système qui tolère l’usage disproportionné de la force dans des quartiers souvent populaires, avec une récurrence qui frôle l’habitude. Et pendant que les ministres versent des larmes protocolaires, les familles pleurent, les quartiers s’indignent, et les enfants meurent.
Alors non, monsieur le ministre, ce n’est pas « un évènement terrible ». C’est un échec collectif. Le vôtre. Celui d’un État qui roule trop vite et pense trop lentement.