Dans un pays où même les frites ont leur propre comité de défense, il fallait bien que l’islam de Belgique ait, lui aussi, son organe officiel. Du moins, en apparence. Car derrière les sigles pompeux, les communiqués fâchés et les sourires crispés devant la ministre Verlinden, se cache une pièce de théâtre communautaire aux relents kafkaïens.
Nous voilà donc face à un « Conseil Musulman de Belgique » (CMB) qui, à en croire ses détracteurs — et ils sont nombreux — ne représente que lui-même. Une structure sortie d’un chapeau administratif, validée à titre provisoire par un ministre en cavale (au sens politique du terme), et qui aujourd’hui prétend parler au nom de plus de 800.000 musulmans… sans qu’aucun d’eux ne se souvienne de l’avoir élu. Détail cocasse , même Google ne connaît pas les trois quarts de ses membres. C’est dire.
Alors oui, nous sommes en démocratie, et les Belges musulmans ne réclament pas une shura façon XIIe siècle, mais tout de même, un minimum de transparence serait le bienvenu. Car la réalité, c’est qu’en dehors d’un cercle étroit de mosquées triées sur le volet — 50 sur plus de 350, essentiellement d’obédience marocaine selon l’EMB — personne n’a été consulté. Même pas une mosquée turque à l’horizon ! C’est un peu comme si l’on organisait un championnat de foot sans inviter Anderlecht, Bruges ou même un club wallon par charité sportive.
Et ce n’est pas l’EMB (Exécutif des Musulmans de Belgique), pourtant bien mal en point lui aussi, qui manque l’occasion de dénoncer la supercherie. Par la voix de Ramadan Gjanaj — dont le nom évoque plus un plat traditionnel qu’un stratège politique —, l’EMB accuse le CMB d’être « fabriqué par le politique », et peuplé de figures issues de mouvances aussi exotiques qu’inquiétantes , Frères musulmans par ici, salafistes par-là, et même quelques électrons wahhabites pour faire joli.
Le pompon ? Le CMB, qui peine à justifier sa légitimité sur le terrain, espère une reconnaissance définitive de la part de la ministre Verlinden. Or celle-ci, à défaut de bénir ou d’enterrer le projet, a choisi la voie la plus belge , le silence prolongé. Peut-être attend-elle qu’un organe représentatif émerge naturellement, comme un champignon communautaire après la pluie.
Mais la question reste entière , peut-on sérieusement continuer à distribuer près de 10 millions d’euros de fonds publics à des imams et aumôniers adoubés par une structure que la majorité des musulmans belges ne reconnaît pas ? Le Conseil d’État, fidèle à sa réputation d’hibernation stratégique, ne s’est toujours pas prononcé sur le recours déposé en 2023 par l’EMB. Pendant ce temps, la représentation de l’islam belge flotte dans une zone grise, entre fiction institutionnelle et théâtre d’ombres.
En somme, le Conseil Musulman de Belgique ressemble à une de ces associations de quartier dont personne n’a entendu parler, jusqu’au jour où l’on découvre qu’elle gère un budget à sept chiffres. Il prétend incarner une diversité qu’il ignore, parler au nom d’un électorat qu’il n’a jamais consulté, et représenter une foi dont il n’a saisi que la façade. La Belgique méritait sans doute mieux qu’un simulacre d’organe représentatif. Et les musulmans belges, eux, attendent toujours leur conférence épiscopale – ou, à défaut, un comité élu qui sache au moins comment fonctionne une urne.