John Bolton, ou l’art algérien de déterrer les reliques pour sauver un mirage
Majdi Fatima Zahra
Alors que le monde entier semble avoir pris acte de la nouvelle donne au Sahara — à savoir la souveraineté marocaine soutenue par Washington, des capitales européennes, africaines et arabes, et même par quelques pays qui ne savent pas situer Tindouf sur une carte — Alger, fidèle à son sens inégalé de l’à-propos diplomatique, a décidé de rappeler… John Bolton à la rescousse. Oui, John Bolton, 75 ans, ex-conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, viré comme un malpropre par le même Trump qui le décrivait comme “l’un des hommes les plus stupides de Washington”. Voilà l’homme providentiel du régime algérien.
Chronique d’un naufrage idéologique
Le retour de Bolton dans le débat saharien — par un billet de blog fumeux publié dans le Washington Times — est une manœuvre aussi audacieuse qu’absurde. Car enfin, qui peut croire qu’un diplomate à la retraite, l’un des architectes du chaos irakien de 2003, puisse ressusciter un plan Baker II déjà abandonné par l’ONU et rangé depuis longtemps dans le musée des illusions perdues ?
Mais à Alger, on ne recule devant rien. Quand les arguments diplomatiques s’épuisent, on exhume les fantômes. Et c’est ainsi que Sabri Boukadoum, ancien ministre des Affaires étrangères et actuel ambassadeur en quête de sens à Washington, a ressorti Bolton du formol. Un coup probablement soufflé par le très lucratif lobby BGR Group, gracieusement rémunéré à hauteur de 720.000 dollars par an, ce qui, pour un pays en crise financière, s’apparente à une démonstration de priorités… poétiques.
Le blog de la dernière chance
Dans son pamphlet numérique, Bolton plaide une fois de plus pour un référendum d’autodétermination, en expliquant que la meilleure solution serait de “demander aux Sahraouis ce qu’ils veulent”. Charmant. C’est à se demander si Bolton croit lui-même encore à cette chimère, ou s’il joue simplement le rôle qu’on lui a assigné contre un chèque en pétrodollars. Il accuse le Maroc d’avoir “entravé la résolution onusienne depuis le début”, tout en insinuant que Rabat lorgne aussi sur “le nord de la Mauritanie et l’ouest de l’Algérie”. Rien que ça.
On croirait lire un brouillon oublié de la Guerre froide, agrémenté de fantasmes de cartographes insomniaques.
SAV diplomatique made in Alger
Revigoré par un mémorandum d’entente militaire signé en janvier dernier entre les États-Unis et l’Algérie, Boukadoum multiplie les appels du pied à Washington. L’idée ? Convaincre l’administration américaine que l’Algérie, autrefois alliée indéfectible de Moscou, serait prête à changer de fournisseur d’armes — et pourquoi pas de doctrine — si cela peut la sauver de l’isolement diplomatique.
Sauf que Washington n’est pas dupe. Marco Rubio, actuel secrétaire d’État, garde une dent contre un régime qu’il considère comme un client toxique de la Russie et un soutien trop tiède à l’ordre international. Et ce n’est pas en recyclant Bolton que la mayonnaise prendra.
Quand le ridicule frôle la désinformation
L’argumentaire boltonien, lui, ne recule devant rien , il nie toute implication du Polisario dans des réseaux terroristes, balaie les liens avec l’Iran, ignore les formations paramilitaires en Syrie, et traite les preuves accumulées par les services occidentaux comme de simples rumeurs propagées par… les alliés du Maroc. La méthode ? Le déni en série, l’omission sélective, et la foi inébranlable dans une fiction déjà abandonnée par les Nations unies elles-mêmes.
Quant au projet de loi en discussion au Congrès américain visant à classer le Polisario comme organisation terroriste, Bolton le balaye d’un revers de moustache. Après tout, qui mieux qu’un ancien va-t-en-guerre pour réécrire la réalité, même contre les faits les plus accablants ?
Une diplomatie en mode “rewind”
La conclusion de Bolton ? Que la politique américaine devrait revenir à celle de… 1991. Rien que ça. On imagine déjà les diplomates marocains souffler du nez, les membres du Conseil de sécurité lever les yeux au ciel, et les think tanks américains noter poliment l’intervention avant de passer à autre chose — de sérieux, de crédible, d’utile.
Mais à Alger, on continue de croire que l’on peut acheter l’Histoire à coups de communiqués décalés, d’experts séniles et de contrats de lobbying mal ficelés. La réalité, elle, avance. Et pas dans le sens du rêve séparatiste.
Post-scriptum :
Il faut sans doute un talent certain pour confondre stratégie et superstition. Alger persiste à croire qu’en criant fort, en payant cher et en sortant de vieux démons du placard, le monde va faire marche arrière. Mais dans les chancelleries du XXIe siècle, on ne gouverne plus à coups de nostalgies néoconservatrices. Et surtout pas avec John Bolton pour GPS.