Algérie : quand Facebook remplace le ministère de l’Éducation… et que la nostalgie devient politique publique

Dans l’Algérie post-hirakienne, il ne faut plus chercher le pouvoir dans les palais feutrés ni dans les partis poussiéreux. Non, aujourd’hui, le vrai champ de bataille idéologique, c’est Facebook. Là où des hashtags bien sentis remplacent les pétitions, où les likes pèsent parfois plus lourd qu’un vote parlementaire, et où l’on redessine le programme scolaire à coups de claviers enflammés.

Dernier épisode de cette épopée numérique : un hashtag appelant le président Abdelmadjid Tebboune à enterrer l’héritage de l’ex-ministre de l’Éducation, Nouria Benghabrit, et à ressusciter la bonne vieille école des années 1980. Celle où le tableau noir était plus important que la tablette, et où l’élève récitait plus de versets que de verbes irréguliers.

Ce retour soudain vers le passé n’est pas un caprice nostalgique. C’est une offensive idéologique en règle, portée par un courant islamo-nationaliste qui ne digère toujours pas les réformes « trop modernes » de Mme Benghabrit, accusée d’avoir semé la francophonie, la laïcité, et, horreur suprême, l’anthropologie dans les écoles algériennes.

Mais que l’on se rassure , en face, le camp laïque n’est pas en reste. Depuis leur bastion numérique et leurs salons éclairés de Tizi Ouzou à Alger-Centre, ils montent au créneau à la moindre incartade idéologique. Ainsi, lorsque l’historien Mohamed El Amine Belghit s’est permis un commentaire douteux sur l’identité amazighe, ils ont réclamé sa tête, ou du moins sa mise en détention — ce qui fut fait. Justice expéditive ? Non, simple algorithme de la colère.

Pendant ce temps, le président Tebboune joue l’équilibriste , ne fâcher ni les nostalgiques des années 80, ni les héritiers de Voltaire. Car oui, en Algérie, on peut prôner à la fois les valeurs de Novembre et le Wi-Fi illimité, l’islam traditionnel et les cours en visioconférence. Il suffit juste de ne pas trop en parler.

Dans cette nouvelle ère, l’État semble prendre très au sérieux les mouvements de l’opinion virtuelle. Les hashtags sont devenus de véritables indicateurs politiques, et le silence des plateaux télé est largement compensé par le vacarme des réseaux sociaux. Qui a besoin d’un débat parlementaire quand un tweet peut provoquer une crise ministérielle ?

Et dans ce vacarme, l’école est devenue l’enjeu par excellence. Plus qu’un lieu d’apprentissage, elle est désormais le champ de projection des fantasmes identitaires : faut-il enseigner l’arabe ou le tamazight ? Faut-il réciter le Coran ou commenter Rousseau ? Faut-il former des croyants ou des citoyens ?

Les islamistes du Web, bien qu’absents des partis ou des structures formelles, savent aujourd’hui parfaitement manier les codes de la mobilisation numérique. Leur rêve , imposer à l’école algérienne un retour aux « valeurs sûres », c’est-à-dire à une époque où l’idéologie faisait la leçon bien plus que la pédagogie.

Mais leurs adversaires laïques, eux aussi, rêvent d’une école « neutre », affranchie de toute lecture religieuse ou nationaliste. Ils dénoncent « l’instrumentalisation du savoir » et rappellent que l’éducation, ce n’est pas l’endoctrinement– ni d’un côté, ni de l’autre.

Et pendant que les deux camps s’écharpent, l’école algérienne, elle, continue de naviguer à vue. Entre programmes déconnectés et enseignants désabusés, entre élèves surchargés et infrastructures délabrées, elle attend toujours son sauveur. En ligne ou hors ligne.

Au fond, ce débat ne dit pas seulement quelque chose sur l’éducation. Il révèle l’impasse dans laquelle se trouve le pays , tiraillé entre deux visions antagonistes, entre tradition et modernité, entre nostalgie et avenir. Et comme toujours, c’est l’élève qui paie les frais de l’interminable dispute des adultes.

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