Stationnement à Bruxelles : comment les communes louent l’espace public… au détriment de leurs propres citoyens
Par Bouchaib El Bazi – Enquête exclusive – Mai 2025
Bruxelles, capitale de l’Europe… et désormais capitale de la taxation routière inventive. Depuis plusieurs années, une transformation silencieuse mais juteuse s’est opérée dans l’espace public : le domaine communal a été privatisé de fait, sans débat démocratique, via une concession accordée à une société régionale nommée Parking.brussels.
Le résultat ? Des citoyens forcés de payer pour se garer sur un territoire qui, légalement, leur appartient.
Le business modèle d’un espace public mis en location
Les 19 communes bruxelloises – ou presque – ont signé des conventions avec Parking.brussels, lui confiant la gestion de leurs emplacements de stationnement, parfois jusqu’aux zones les plus résidentielles. En échange, elles touchent une redevance annuelle ou un pourcentage sur les recettes, sans devoir gérer ni les plaintes ni les PV. Un deal gagnant… pour tout le monde sauf le citoyen.
Selon un rapport interne de la Région bruxelloise, Parking.brussels a récolté plus de 52 millions d’euros de recettes en 2024, dont près de 40% proviennent uniquement des redevances résidentielles et des amendes pour dépassement ou absence de ticket. Un chiffre en augmentation de 12% par an depuis 2018. L’entreprise emploie aujourd’hui près de 350 personnes, et sa flotte de scanneuses mobiles quadrille la ville comme un réseau de contrôle automatisé.
Mais sur quoi repose légalement ce système ? Surprise : aucune loi fédérale n’oblige les citoyens à payer un stationnement résidentiel. Il s’agit de règlements communaux, validés par les conseils communaux, souvent dans l’ombre, sans réelle consultation citoyenne. Le vide juridique est comblé par une mécanique redoutable : le citoyen doit payer, ou contester – mais en payant d’abord.
Un système opaque, une redevance automatique
Le mode opératoire est simple, mais implacable. À l’aide de véhicules équipés de caméras LAPI (lecture automatique de plaques), Parking.brussels scanne en temps réel toutes les voitures stationnées dans des zones payantes. Si la plaque n’est pas associée à un paiement valide dans les dix secondes, une redevance forfaitaire est déclenchée. Et contrairement à une amende classique, cette redevance est difficilement contestable car assimilée à un “paiement pour service rendu”.
L’astuce ? Il ne s’agit pas d’une contravention judiciaire, mais d’un “titre de recette” administratif. Cela signifie que Parking.brussels peut réclamer la somme sans passer par un juge, avec l’appui éventuel d’un huissier de justice (souvent payé à la commission), ce qui ajoute stress et frais supplémentaires pour les contrevenants.
Quand la voiture devient suspecte par défaut
Un paradoxe saute aux yeux : dans une ville qui prétend promouvoir la mobilité douce, la voiture reste la principale source de revenus auxiliaires pour les communes. Et pas n’importe quelle voiture : celle des habitants eux-mêmes.
Prenons l’exemple d’un couple vivant à Schaerbeek. Ils paient 60 euros par an pour leur carte de stationnement résidentiel. Mais s’ils reçoivent trois redevances pour “oubli de renouvellement”, ils peuvent se retrouver avec plus de 100€ de pénalités par trimestre. Et en cas d’erreur du système de lecture de plaque (fréquent selon les témoignages), il faudra prouver l’achat du ticket ou la validité de la carte… parfois avec un délai de réponse de plusieurs semaines.
Des inégalités flagrantes entre communes… et citoyens
Toutes les communes n’appliquent pas le même zèle. À Woluwe-Saint-Lambert, Uccle ou Auderghem, le stationnement reste gratuit dans de nombreux quartiers. À l’inverse, à Saint-Gilles, Ixelles ou Schaerbeek, même les zones résidentielles sont tarifées 7 jours sur 7.
Et pour les visiteurs ? Les tarifs peuvent grimper jusqu’à 3€ l’heure. Sans parler des zones rouges, oranges, bleues, dont la complexité dépasse souvent l’entendement, créant une confusion stratégique… qui rapporte.
Abus de pouvoir ou gestion moderne ?
Des associations de citoyens dénoncent une forme d’abus de pouvoir institutionnalisé. « On fait payer les gens pour des espaces qu’ils entretiennent indirectement par leurs impôts locaux, sans garantie de services en retour, » explique Louise, membre du collectif “Stop aux PV”. « Et le pire, c’est qu’il n’existe aucun recours collectif : chaque citoyen est seul face à une machine administrative qui ne répond jamais. »
La Ligue des Droits Humains a d’ailleurs interpellé la Région sur l’opacité des procédures de recouvrement, et sur l’absence de cadre légal clair définissant la redevance de stationnement comme un prélèvement contraignant.
Vers une rébellion des parkings ?
Dans certains quartiers, des habitants refusent désormais de payer, revendiquant une forme de “désobéissance fiscale urbaine”. Mais la sanction est rapide : immobilisation du véhicule, voire saisie en cas de dettes répétées. L’espace public est devenu un champ de mines réglementaires où chaque arrêt peut coûter… cher.
Dans Bruxelles, tout se paie. Même l’immobilité.
Derrière les discours sur l’urbanisme durable et les villes intelligentes se cache une stratégie cynique de monétisation du domaine public. Le stationnement n’est plus un service ; c’est une rente. Et tant que les citoyens ne réclameront pas un audit complet de cette gestion par délégation, ils continueront de payer… pour rester à l’arrêt.