Bouchez, Ahidar et les nouvelles frontières du vivre-ensemble : entre punchlines et plaintes officielles

Hanane Fatihi

Bruxelles – À Bruxelles, on aime les débats musclés, les dialogues corsés et les joutes verbales dignes des plus grands romans de Dumas. Mais cette semaine, c’est dans le registre de la tragédie satirique que s’inscrit le duel entre Georges-Louis Bouchez, président du MR, et Fouad Ahidar, chef de la Team Fouad Ahidar (TFA), récemment intronisé porte-voix tonitruant d’un électorat qui en a marre d’être regardé de travers.

De la conférence de presse au dépôt de plainte, il n’y a qu’un micro

Mercredi, Georges-Louis Bouchez, fidèle à son style de tribun échevelé et précipité, présente sa vision pour Bruxelles. Une ville qu’il veut moderne, propre, sécurisée — et surtout débarrassée des “communautaristes”, du PTB, du Vlaams Belang et, étonnamment, de la Team Fouad Ahidar. Une trilogie que seul lui semble trouver logique.

Quelques heures plus tard, Fouad Ahidar saisit son glaive démocratique et dégaine , plainte officielle déposée auprès d’Unia. Motif ? “Déclarations irresponsables”, “polarisation du débat”, “amalgame insultant”. Bref, le cocktail habituel du grand cirque politique bruxellois. Mais cette fois, avec un arrière-goût amer.

Communautarisme, vraiment ? Ou juste peur de l’émergence ?

Selon Bouchez, la TFA serait un cheval de Troie communautariste. Ahidar, lui, y voit surtout une tentative malhabile d’éteindre une voix qui monte. Il faut dire que la TFA a surpris tout le monde en juin dernier, en raflant trois sièges dans le collège néerlandophone. Un électrochoc. Pour certains, un signe d’ouverture démocratique. Pour d’autres, comme Bouchez, un bouton d’alerte à presser sans modération.

Mais peut-on vraiment comparer la TFA au Vlaams Belang sans risquer une entorse logique ? Ahidar en doute, et il le dit avec un mélange de dignité blessée et d’indignation théâtrale  « Comparer un mouvement progressiste, humaniste et démocratique à un parti xénophobe et raciste est non seulement infondé, mais aussi irresponsable ». On l’a connu plus tempéré, mais il faut croire que Bouchez a le don d’exaspérer même les plus stoïques.

 Ironie de l’histoire : dénoncer le communautarisme, en français dans le texte

Bouchez reproche à Ahidar d’avoir fait campagne… en français. À Bruxelles. Pour une liste néerlandophone. Sacrilège ! L’homme qui tweete plus vite que son ombre semble oublier qu’à Bruxelles, parler français n’est pas (encore) un délit. Il est vrai que dans une ville où les néerlandophones sont minoritaires mais constitutionnellement privilégiés, certains voient dans la multilinguisme une trahison stratégique.

Et pendant qu’on y est , quelques recrues sulfureuses du MR, venues de la droite dure, auraient-elles glissé sous les radars du président libéral ? Ahidar n’hésite pas à pointer ce petit oubli en soulignant que « plusieurs membres d’extrême droite ont rejoint récemment les rangs du MR ». Bouchez, adepte du grand écart verbal, semble pratiquer la cohérence à géométrie variable.

 Unia, nouveau théâtre d’ombres de la politique belge ?

En saisissant Unia, Fouad Ahidar place le débat sur un autre terrain , celui des institutions et de la légalité. Reste à savoir si l’organe anti-discrimination se prêtera au rôle d’arbitre dans un match où la ligne entre provocation politique et discrimination réelle se brouille savamment.

 “Vivre-ensemble”, oui… mais pas avec n’importe qui ?

Derrière ce clash d’egos et de partis, une vraie question émerge , dans quelle société voulons-nous vivre ? Une société où la diversité politique est perçue comme un enrichissement, ou une menace ? Où parler une autre langue que celle de son collège électoral est une trahison, ou un signe d’ouverture ? Où chaque désaccord se termine par une plainte, ou une poignée de main ? Pour l’instant, on est encore dans l’arène. Et le public applaudit, nerveux.

Pendant ce temps, les Bruxellois regardent tout ça depuis leurs trams bondés, en se demandant si quelqu’un, un jour, parlera vraiment de leurs loyers, de leur santé ou de leurs écoles. Spoiler , ce ne sera pas dans cette conférence de presse.

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