Quand Nairobi range le drapeau du Polisario : le réalisme fait son entrée en Afrique de l’Est

Majdi Fatima Zahra

Dans la vaste comédie des relations internationales africaines, il arrive que certains acteurs quittent enfin la scène du théâtre idéologique pour entrer, non sans panache, dans le monde réel. C’est ce qu’a fait récemment le gouvernement kenyan en décidant de mettre fin à son soutien historique au Polisario pour embrasser, avec pragmatisme, l’initiative marocaine d’autonomie au Sahara.

Exit les postures tiers-mondistes, place aux affaires sérieuses , le Maroc est aujourd’hui perçu, même à Nairobi, comme un partenaire stratégique, pas comme une simple carte à abattre dans les sommets de la nostalgie anti-coloniale.

D’ailleurs, le symbole ne s’est pas fait attendre : l’inauguration officielle de l’ambassade du Kenya à Rabat, en grande pompe, avec discours fleuris et poignées de main chaleureuses. Trois jours de visite pour Musalia Mudavadi, ministre des Affaires étrangères kényan, trois jours pour sceller une série d’accords économiques, mais surtout tourner une page diplomatique qui sentait le renfermé.

Et dans un communiqué qui n’a rien d’une improvisation, le Kenya vante désormais le plan d’autonomie marocain comme “réaliste et applicable”, tout en saluant le leadership du Roi Mohammed VI sur le continent. On est loin, très loin, des résolutions unilatérales et des vieilles banderoles du front révolutionnaire d’antan.

Du romantisme idéologique au calcul stratégique

Le changement kényan n’est pas tombé du ciel. Il est le fruit d’un patient travail de diplomatie économique et politique mené par Rabat depuis sa réintégration à l’Union africaine en 2017. Une stratégie du “soft power” à la marocaine ,  investissements ciblés, projets structurants, coopération Sud-Sud… et surtout, un message clair : le Maroc ne quémande pas des soutiens, il construit des partenariats.

Le message a été entendu à Nairobi, surtout quand on regarde les chiffres. En 2023, les importations kényanes depuis le Maroc atteignaient 93 millions de dollars, principalement en engrais et produits chimiques, pendant que ses exportations vers le royaume plafonnaient à… 3,8 millions, dominées par le thé et le café. Cherchez l’erreur.

C’est donc tout naturellement que le chef de la diplomatie kényane a annoncé vouloir rééquilibrer les échanges et booster les exportations vers le Maroc. Une manière élégante de dire , “On veut bien changer d’avis, mais pas gratuitement.”

Quand le Polisario perd son salon est-africain

Pendant que le Kenya tisse des liens concrets avec le Maroc, que devient le Polisario, ce passager clandestin des causes perdues ? Eh bien, il plie bagages, discrètement, sans bruit, sans communiqué officiel. Les jours de sa présence diplomatique officieuse à Nairobi semblent comptés. D’autres capitales africaines pourraient suivre le mouvement, à l’image du Ghana, du Libéria ou même de l’Angola, qui ont récemment opté pour une position de “réserve diplomatique” face aux prétentions de Tindouf.

Khallad Chiat, professeur de relations internationales, souligne d’ailleurs que le virage kényan confère un poids symbolique important à la dynamique marocaine, puisqu’il s’agit d’un acteur-clé de l’Afrique de l’Est, longtemps enraciné dans le soutien au Polisario. “C’est la victoire du réalisme sur l’illusion,” résume-t-il.

Un vent nouveau sur la diplomatie africaine

La diplomatie marocaine, longtemps cantonnée à l’Afrique de l’Ouest, avance désormais à grands pas vers l’Est, portée par des projets tels que le gazoduc Nigeria-Maroc, ou l’initiative atlantique pour la sécurité énergétique. Rabat n’est plus un simple observateur , c’est un architecte de l’intégration régionale.

Dans ce contexte, la position kényane n’est pas une anomalie, mais le prélude à un réalignement plus large. La vieille carte du soutien inconditionnel au Polisario, distribuée à l’époque des luttes de libération, ne vaut plus grand-chose dans l’Afrique du XXIe siècle. Aujourd’hui, ceux qui veulent se développer savent que les idéologies figées ne construisent ni routes, ni usines, ni ports.

Une boussole africaine en train de pivoter

À l’heure où les équilibres africains se redessinent, le Maroc réussit là où tant d’autres échouent , faire bouger les lignes sans fracas, mais avec constance. Et tandis que Nairobi découvre les vertus du partenariat avec Rabat, d’autres chancelleries africaines pourraient bien être en train d’ajuster, elles aussi, leur GPS diplomatique. Le Sahara marocain ? Pour un nombre croissant d’États africains, ce n’est plus un débat. C’est une évidence.

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