Liverpool, liesse brisée : quand la fête vire au cauchemar

Soumia El Alki

Ce devait être une soirée inoubliable. Une communion populaire, une explosion de joie rouge dans les rues de Liverpool, à la gloire du club mythique qui venait de reconquérir son trône en Premier League. Des familles entières, trempées mais rayonnantes, s’étaient massées sur seize kilomètres pour saluer leurs héros en crampons. Et puis, soudain, une voiture. Une bousculade. Des cris. Du sang.

Lundi soir, l’histoire s’est fracassée contre le pare-chocs d’une berline fonçant dans la foule. 27 blessés, dont quatre enfants. Deux personnes sont entre la vie et la mort. L’auteur ? Un homme blanc britannique, 53 ans, visiblement plus dangereux qu’un derby à Anfield. La police, très vite, a écarté la piste terroriste. Circulez, ce n’est qu’un “incident isolé”. Isolé, peut-être. Mais pas anodin.

La violence routière au milieu des cotillons

Ce n’est pas la première fois qu’un moment de liesse populaire se transforme en scène de chaos. Mais à chaque fois, on nous sort la même rengaine , ne spéculons pas, restons calmes, laissons la justice faire son travail. Très bien. Mais pendant ce temps, les réseaux sociaux s’enflamment, les versions s’entrechoquent et les témoins, eux, ont vu l’horreur , des corps projetés sur le capot, des enfants coincés sous la voiture, des cris étouffés par la pluie battante. Des scènes dignes d’un film catastrophe, sauf qu’ici, aucun figurant n’était payé pour jouer la peur.

Les images sont glaçantes. Des hommes tentant de stopper le véhicule avec leurs mains nues, des pompiers soulevant la voiture pour en extirper un enfant, et toujours cette question qui rôde : comment en est-on arrivé là ?

L’absurde silence des autorités

“Ce n’est pas un acte terroriste.” C’est entendu. Mais alors, quoi ? Un coup de volant malheureux ? Un malaise subit ? Un accès de rage sur fond de klaxons et de confettis ? Le silence des autorités est aussi bruyant que le vacarme de l’impact. L’enquête est en cours, nous dit-on. Mais pendant ce temps, des familles panse leurs plaies, et un enfant lutte contre la mort.

Le Premier ministre Keir Starmer s’est fendu d’un message de compassion , “épouvantable, choquant.” Merci Capitaine Évidence. Mais où sont les questions concrètes sur la sécurité de ces événements ? Qui valide les dispositifs de protection de foules ? À quoi sert un périmètre sécurisé si une voiture peut y entrer comme dans un parking de supermarché ?

Football et foi collective

Le football, en Angleterre, n’est pas un sport : c’est une religion laïque. Et lundi soir, Liverpool célébrait sa messe. Mais ce moment de foi s’est vu profané par une irruption brutale de l’absurde. Le club a exprimé sa solidarité. Mais au-delà des prières, il y a des responsabilités à interroger.

Le conducteur a été arrêté. C’est un début. Mais le drame, lui, est déjà bien installé dans les mémoires. Et derrière le vernis du “non-terrorisme”, il y a une violence bien réelle , celle de l’impréparation, de la légèreté sécuritaire, de la gestion approximative d’événements de masse.

Une ville en rouge et noir

Liverpool, qui voulait repeindre la ville en rouge, la voit soudain tachetée de noir. La fête est terminée, la gueule de bois s’annonce longue. Reste une certitude , il ne suffit pas de brandir des fanions pour conjurer le chaos. Il faut aussi, peut-être, remettre un peu de raison dans nos célébrations. Et beaucoup plus de rigueur dans leur encadrement.

Parce que les foules ont le droit de vibrer. Mais pas de mourir pour un championnat.

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