Il fut un temps où briguer la présidence d’un pays exigeait un programme, une vision, voire un soupçon de charisme. En Algérie, en 2024, une innovation démocratique a vu le jour , le ticket d’entrée pour la magistrature suprême se règle désormais en espèces sonnantes et trébuchantes, à raison de quelques dizaines de milliers de dinars le parrainage. Le suffrage universel ? Non, le suffrage tarifé.
Lundi dernier, la justice algérienne a condamné trois aspirants présidents à dix ans de prison. Leur crime ? Avoir confondu collecte de signatures et collecte de fonds. Parmi les condamnés, une brochette de profils variés , la cheffe d’entreprise et mécène électorale Saïda Neghza, le ministre recyclé Belkacem Sahli, et l’homme d’affaires à vocation présidentielle Abdelhakim Hamadi. Tous trois reconnus coupables d’avoir un peu trop cru au pouvoir de l’argent, même dans une République où ce dernier ne fait pourtant jamais campagne seul.
Comble du raffinement procédural , bien que condamnés, nos trois héros ne connaîtront pas immédiatement les joies de la prison. Ils bénéficient du fameux “restez chez vous en attendant l’appel”, une spécialité judiciaire locale, parfois appelée “liberté surveillée par la caméra de surveillance du salon”.
Mais le spectacle ne s’arrête pas là. En coulisses, soixante-dix autres figurants – élus locaux pour la plupart – ont été condamnés à des peines de 5 à 8 ans. Leur rôle ? Avoir signé pour les candidats moyennant espèces. À ce tarif-là, la politique devient un guichet de banque , une signature = 20 000 à 30 000 dinars. Remise possible pour gros volumes.
Les enfants de Saïda Neghza, eux aussi acteurs malgré eux de cette tragédie électorale, ont également écopé de peines allant jusqu’à huit ans. Mention spéciale pour le fils en cavale, Mokrane, qui depuis son exil numérique a publié une ode à la dignité familiale sur Facebook , “Je suis fier d’être le fils de Saïda Neghza”. En Algérie, la fierté familiale est manifestement plus tenace que le casier judiciaire.
Rappelons, pour la forme, que pour se présenter à la présidentielle, il faut réunir 600 signatures d’élus ou 50 000 de citoyens. Une formalité, diront certains… à condition d’avoir le bon chéquier et quelques élus prêts à arrondir leurs fins de mois.
Résultat des courses , sur seize prétendants, seuls trois ont vu leur dossier validé. Parmi eux, bien sûr, l’indéboulonnable Abdelmadjid Tebboune, réélu sans surprise et sans suspense. À croire qu’il est le seul à ne pas avoir eu besoin de dégainer sa carte bleue.
Ce scandale n’est pas le premier, et ne sera sans doute pas le dernier, dans cette démocratie à la carte où le suffrage se monnaie au marché noir et où l’espoir de renouveau politique finit, comme toujours, dans les filets d’un système aussi opaque que verrouillé.
Moralité , en Algérie, on ne naît pas président, on le devient… à condition de bien connaître le tarif syndical.
À suivre, dans le prochain épisode , Comment perdre une élection sans jamais se présenter, mais en gagnant quand même dix ans de prison.