Nairobi ouvre une ambassade à Rabat : vers un tournant diplomatique majeur dans la position kényane sur le Sahara ?

Soumia El Alki

C’est une annonce à forte charge symbolique et politique. Le ministre des Affaires étrangères du Kenya, Musalia Mudavadi, effectuera lundi une visite officielle à Rabat à l’occasion de l’inauguration de la toute première ambassade de son pays au Maroc. Une démarche qualifiée par les observateurs comme un signal fort d’un repositionnement stratégique du Kenya vis-à-vis du dossier du Sahara, longtemps dominé par un soutien affiché à la thèse séparatiste du Polisario.

Selon le quotidien kényan The Eastleigh Voice, l’ambassadrice Jessica Gakinya, première représentante diplomatique de Nairobi au Maroc, a officiellement convié les autorités marocaines à la cérémonie d’ouverture qui se tiendra en présence de son homologue marocain, Nasser Bourita. Le journal y voit un “changement perceptible dans une position historiquement oscillante du Kenya vis-à-vis de Rabat, influencée pendant des années par le conflit du Sahara.”

Une omission révélatrice dans la nouvelle politique étrangère kényane

Cette ouverture d’ambassade intervient quelques jours seulement après l’adoption par la présidence kényane d’un nouveau document de politique étrangère ne comportant aucune référence au conflit du Sahara, contrairement aux versions précédentes. Une omission que les analystes lisent comme un désengagement progressif du soutien explicite aux séparatistes installés à Tindouf, au profit d’une approche plus équilibrée, dictée par la recherche d’intérêts stratégiques durables avec le Maroc.

Pour le Dr. Bouraq Chadi Abdessalam, expert en gestion des crises et analyse géopolitique, cette évolution représente “le résultat logique d’un processus diplomatique méthodique, alliant constance stratégique et finesse relationnelle”, mené par une diplomatie marocaine “ancrée dans la vision royale d’un partenariat Sud-Sud équitable et pragmatique.”

Dans une déclaration à la presse locale, il a souligné que “la réussite de la mission diplomatique marocaine au Kenya est due à une coordination rigoureuse, une approche professionnelle et un engagement profond en faveur de la souveraineté nationale, portée par une diplomatie économique et humaine inclusive.”

Le Maroc consolide ses gains en Afrique

Depuis la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara en 2020, Rabat a multiplié les avancées diplomatiques sur le continent. Plusieurs pays africains ont ouvert des consulats dans les villes de Laâyoune et Dakhla, affichant un soutien concret au plan d’autonomie proposé par le Royaume. Malgré les contre-pressions exercées par l’Algérie, principal soutien du Polisario, la dynamique semble aujourd’hui pencher en faveur de la diplomatie marocaine.

“La mutation de la position kényane, si elle se confirme pleinement, viendrait renforcer une tendance de fond , celle de l’érosion progressive des soutiens historiques à la république fantoche autoproclamée, au profit d’une reconnaissance accrue de la souveraineté marocaine sur son territoire”, estime le Dr. Bouraq.

Un changement stratégique au cœur d’un hub diplomatique mondial

Le choix du Kenya est tout sauf anodin. Nairobi est une capitale diplomatique de premier ordre en Afrique, abritant plusieurs sièges d’agences des Nations Unies et jouant un rôle de poids dans les dossiers multilatéraux. En s’y installant durablement, le Maroc s’assure une présence stratégique au sein des arènes africaines et internationales.

“Le travail diplomatique entamé à Nairobi a reposé sur des projets durables, une écoute active des priorités locales et une offre de coopération crédible, loin de toute logique d’instrumentalisation idéologique”, souligne Bouraq, qui considère le cas kényan comme “un modèle d’approche constructive et multiforme de la politique africaine du Royaume.”

Rabat reste maître du tempo

En somme, le Maroc démontre une fois de plus sa capacité à s’adapter aux mutations du continent, en maintenant une politique étrangère fondée sur la stabilité, la coopération et la légitimité historique. Alors que certains persistent à recycler des discours figés dans le temps, Rabat poursuit, sans fracas, le tracé d’une voie africaine nouvelle, où le réalisme diplomatique prime sur les postures idéologiques.

L’inauguration de l’ambassade kényane à Rabat n’est peut-être qu’un détail diplomatique sur le calendrier, mais elle incarne une dynamique plus vaste , celle d’un basculement d’alliances, d’une redéfinition des priorités africaines – et d’un Maroc, plus que jamais, au centre du jeu.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.