“L’Algérie et le Sahel : un sommet pour parler aux absents”

Bouchaib El Bazi

Il fallait oser. Organiser un colloque national sur le Sahel sans la moindre présence des pays sahéliens concernés relève d’un tour de force diplomatique… ou d’un sketch géopolitique. Mais qu’on se rassure : le ministère algérien de la Défense l’a fait, avec tout le sérieux qu’exige une mise en scène destinée avant tout à l’opinion publique nationale.

Car soyons clairs : quelle crédibilité peut avoir un sommet sur la coopération régionale quand l’organisateur entretient une brouille ouverte avec le Mali, une rupture diplomatique avec le Niger, et une méfiance rampante avec le reste du voisinage ? Depuis que l’armée algérienne a eu la délicatesse de faire tomber un drone malien début avril, la confiance est aussi sèche que le désert qu’elle prétend stabiliser.

Et pourtant, le général Saïd Chengriha, chef d’état-major, s’est fendu d’un discours d’ouverture plein de bonnes intentions : dialogue, paix, respect de la souveraineté, coopération militaire… Un florilège de principes, très jolis sur le papier, mais bien loin de la pratique. Car pendant que l’Algérie parle de non-ingérence, elle donne des leçons aux gouvernements sahéliens. Pendant qu’elle évoque la solidarité, elle se retrouve de plus en plus isolée dans sa propre région.

Le sommet semble ainsi avoir eu un double objectif : simuler une dynamique régionale à l’arrêt, et suggérer que l’Algérie reste un acteur central, même quand plus personne ne veut jouer avec elle. Une sorte de monologue stratégique, où l’on débat du sort des voisins sans les convier, au nom d’une fraternité sélective qui ne trompe plus grand monde.

Les capitales sahéliennes, elles, n’ont même pas pris la peine de réagir. Le silence est souvent la plus polie des réponses, surtout quand le message reçu ressemble davantage à une tentative de récupération politique qu’à une réelle volonté de dialogue. Après tout, que répondre à un voisin qui parle de respect tout en piétinant les protocoles, ou qui évoque l’intégration tout en claquant les portes des alliances sécuritaires ?

Côté algérien, on continue pourtant à croire au rôle de “parrain régional”, à ce mythe d’une Algérie indispensable à la stabilité du Sahel. Mais ce mythe s’effrite, à mesure que les pays sahéliens réorientent leurs partenariats vers des acteurs plus pragmatiques – Moscou, Ankara, parfois même des forces moins officielles, mais plus efficaces.

Quant aux grands discours sur le développement, les projets structurants et l’aide humanitaire, ils s’apparentent de plus en plus à des slogans pour bulletins de 20h. En réalité, l’Algérie tente de rattraper son absence sur le terrain par une hyperactivité rhétorique. Ce n’est plus une politique étrangère, c’est une pièce de théâtre où les spectateurs quittent la salle avant la fin de l’acte I.

Alors que reste-t-il ? Une belle salle, des uniformes impeccables, des powerpoints sur la paix, et une Algérie qui parle d’un Sahel qui ne l’écoute plus. Un sommet sans sommet, un dialogue sans interlocuteur, et une diplomatie qui, faute d’alliés, s’adresse à son propre miroir.

En somme, l’Algérie veut jouer les médiateurs dans une pièce où elle n’est plus qu’un figurant – et où les autres acteurs ont changé de scène sans la prévenir.

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