Enquête | Mariages d’intérêt : quand des femmes marocaines de la diaspora deviennent des passerelles vers l’Europe
Bouchaib El Bazi
Elles s’appellent Samira, Amal, ou Khadija. Elles vivent en France, en Belgique ou au Pays-Bas, travaillent dur pour construire une vie digne, et rêvent – parfois naïvement – d’amour, de stabilité et de famille. Mais pour certaines, le mariage s’est transformé en piège, et leur générosité en permis d’exploitation. Dans l’ombre des consulats et des cérémonies en petit comité, une réalité brutale se répète : des hommes marocains sans papiers utilisent le mariage comme simple passerelle vers l’Europe, laissant derrière eux des femmes brisées, des enfants déchirés, et des vies à reconstruire.
Une promesse de vie… trahie
Tout commence souvent par une belle histoire. Lui, encore au Maroc, promet amour, respect, et avenir commun. Elle, installée depuis des années en Europe, croit à la sincérité du lien. Rapidement, le mariage est célébré, les démarches administratives entamées. La femme se porte garante, assume les dépenses, offre un toit, un emploi, parfois même une régularisation.
Mais à peine les papiers obtenus, l’attitude change. Le mari devient distant, méprisant, parfois violent. Dans de nombreux cas, il quitte le foyer dès qu’il obtient son titre de séjour, parfois même pour rejoindre une autre relation qu’il entretenait déjà au pays.
« J’ai tout sacrifié pour lui. Je l’ai accueilli, habillé, nourri. Aujourd’hui, il vit ailleurs, et me laisse seule avec deux enfants… » confie Naïma, installée à Lyon, la voix tremblante.
Des enfants pris au piège
Les enfants issus de ces unions deviennent, eux aussi, des victimes collatérales. Ballottés entre des parents en conflit, exposés à des tensions psychologiques, ils grandissent dans des environnements instables. Certaines mères se retrouvent seules à assumer la charge mentale, émotionnelle et matérielle.
« Mon fils me demande pourquoi son père ne l’appelle plus. Comment lui expliquer qu’il n’a été qu’un passeport pour lui ? », témoigne Samira, résidente à Bruxelles.
Une arnaque… au nom de la tradition
Derrière cette mécanique bien rodée se cache parfois une forme de fraude sentimentale déguisée en mariage traditionnel. Des hommes, souvent conseillés ou soutenus par des réseaux familiaux ou communautaires, ciblent volontairement des femmes de la diaspora – souvent divorcées ou mères célibataires – perçues comme plus vulnérables ou désireuses de refaire leur vie.
Une fois en Europe, le masque tombe. Le mariage, loin d’être un projet de vie commun, se révèle être une transaction froide, où seul le statut de résident est convoité.
Un tabou qui se fissure
Longtemps tue par honte ou par peur de jugement, cette réalité commence à émerger dans les témoignages de nombreuses femmes sur les réseaux sociaux et dans certaines associations. Des collectifs de femmes issues de la diaspora s’organisent pour alerter, conseiller, et même accompagner les victimes dans leurs démarches juridiques.
« On ne peut plus se taire. Ces hommes salissent l’image des vrais couples et brisent des vies. Il faut que justice soit rendue, et que l’État protège mieux ces femmes. », estime une militante marocaine basée à Rotterdam.
Une méfiance croissante
Face à la multiplication de ces cas, de nombreuses femmes marocaines de la diaspora refusent désormais catégoriquement d’envisager un mariage avec un compatriote sans papiers. Un réflexe de protection qui, s’il est compréhensible, participe à renforcer la fracture entre Marocains du pays et ceux de l’étranger.
« Je ne veux pas être une proie. Je préfère rester seule que de me faire utiliser », confie Khadija, 43 ans, infirmière en région parisienne.
Une problématique complexe
La justice européenne, bien que saisie dans certains cas, peine à répondre efficacement à cette forme d’abus sentimental. Le caractère intime des relations rend la preuve de l’intention frauduleuse difficile à établir. Quant aux institutions marocaines, elles sont souvent absentes ou silencieuses face à ces drames personnels qui se jouent loin de leurs frontières.
Ce phénomène, bien qu’encore peu documenté officiellement, révèle une réalité douloureuse : celle de femmes courageuses et dévouées, trahies au nom de l’opportunisme et d’une quête migratoire désespérée. Entre naïveté, amour et devoir familial, elles paient le prix fort d’un mariage qui n’en était pas un. Un prix qu’aucun papier de séjour ne justifie.