Enquête | Staffan de Mistura à Bruxelles : l’ONU réinvente-t-elle la roue ?
Bouchaib El Bazi
Alors que la communauté internationale attend avec impatience un rapport décisif du Conseil de sécurité des Nations unies sur le dossier du Sahara marocain, l’émissaire personnel du Secrétaire général de l’ONU, Staffan de Mistura, a lancé une nouvelle série de consultations depuis la capitale belge, Bruxelles. Une initiative qui soulève de nombreuses questions sur ses objectifs réels, son contexte politique, et ses implications diplomatiques. S’agit-il d’un substitut à une dynamique onusienne en panne, ou simplement d’une nouvelle boucle dans une spirale diplomatique sans fin ?
Une escale inattendue, des signaux codés
Le choix de Bruxelles comme point de départ de cette tournée n’était pas inscrit dans l’agenda officiel de l’émissaire. Mais la symbolique du lieu – siège des institutions européennes – suggère une volonté de “multilatéraliser” les consultations autour du Sahara marocain, en dehors des cercles onusiens traditionnels de New York. D’autant plus que ces rencontres incluent la participation de la Mauritanie et du front séparatiste du Polisario.
Selon des sources diplomatiques informées, cette initiative coïncide avec la tenue du sommet ministériel afro-européen, ce qui laisse penser à une possible instrumentalisation de cette plateforme politique. Un scénario que Rabat cherche justement à éviter, en insistant régulièrement sur l’exclusivité du cadre onusien dans le traitement du dossier.
Maroc : une prudence assumée
Des sources proches des cercles décisionnels marocains ont confié que le Maroc ne s’oppose ni aux consultations ni aux efforts des Nations unies. Toutefois, le royaume affiche des réserves claires vis-à-vis des initiatives parallèles qui pourraient être récupérées politiquement par certains acteurs régionaux dans le but de relancer des narratifs dépassés, contraires aux résolutions du Conseil de sécurité.
En misant sur le soutien international croissant à son plan d’autonomie comme unique issue réaliste au conflit, Rabat rappelle que toute tentative de détourner le processus politique hors de la légalité internationale équivaut à saboter la dynamique vers une solution durable.
Algérie : présence conditionnée, posture ambivalente
Acteur central dans le conflit, l’Algérie continue de camper sur sa posture de “partie observatrice”, tout en posant comme condition à tout dialogue un entretien préalable avec le Maroc. Une exigence que des observateurs qualifient de “stratégie dilatoire”, en décalage total avec les appels répétés des Nations unies à une participation active de toutes les parties prenantes.
Cette attitude ambiguë trahit, selon certains analystes, une volonté à peine voilée de maintenir le statu quo et d’éviter toute implication directe dans un processus politique qui risquerait de mettre Alger face à ses responsabilités.
Bruxelles : rupture ou répétition ?
Pour le Dr Abba Cheikh Abba Ali, membre du Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (CORCAS), la démarche de De Mistura n’est pas anodine. Dans une déclaration, il affirme que :
« Bruxelles n’est pas un simple point géographique. C’est un signal politique adressé à l’Europe, témoignant de la volonté de renforcer le soutien à l’autonomie marocaine sous souveraineté nationale. »
Selon lui, l’émissaire de l’ONU agit dans une perspective stratégique, en vue du rapport attendu en octobre, et tente de sonder les marges de manœuvre pour débloquer un processus enlisé depuis des années.
En revanche, l’analyste politique Saïd Bouchakouk exprime sa méfiance :
« Ces rencontres pourraient être détournées à des fins de propagande géopolitique. Sortir du cadre onusien affaiblit la crédibilité de la médiation internationale et érode la confiance du Maroc envers l’institution onusienne. »
Il estime que les précédentes initiatives de De Mistura – notamment celles impliquant l’Afrique du Sud – n’ont pas respecté les paramètres fixés par les résolutions du Conseil de sécurité, et risquent de répéter les erreurs passées.
Soutien américain et convergences européennes
Ce mouvement diplomatique s’inscrit dans un contexte d’appui international renforcé à la proposition marocaine. Washington, en tant que “penholder” au Conseil de sécurité, a récemment réaffirmé son soutien à l’initiative d’autonomie. Plusieurs capitales européennes influentes – Paris, Berlin, Madrid – emboîtent désormais le pas en faveur d’une solution réaliste et pragmatique.
Un rapport du European Foreign Policy Institute basé à Bruxelles souligne :
« L’Union européenne tend de plus en plus vers un soutien tacite au plan d’autonomie, perçu comme l’option la plus viable dans le nouvel échiquier géopolitique. »
Et après Bruxelles ?
Selon des sources onusiennes, une visite de De Mistura à Rabat serait en préparation, dans l’optique de finaliser ses consultations avant la rédaction du rapport prévu pour octobre. Cette visite viserait à collecter les positions officielles et à établir un terrain de négociation crédible pour relancer le processus politique.
Mais sans pression internationale claire, ni implication directe de l’Algérie, le chemin vers une solution durable restera semé d’embûches.
La démarche de Staffan de Mistura à Bruxelles peut-elle relancer une dynamique diplomatique crédible ? Ou s’agit-il simplement d’un énième tour dans une boucle institutionnelle sans issue ?
La réponse, comme le rappelle un diplomate européen en poste à Genève, se trouve « non pas dans les lieux, mais dans les volontés ». Et celles-ci, jusqu’à preuve du contraire, restent inégalement partagées.