Gaza : Quand l’humanité ferme les yeux, l’indignation devient une formalité

Bouchaib El Bazi

Il fut un temps où l’indignation internationale avait un poids. Où une alerte lancée depuis les bancs du Conseil de l’Europe ne ressemblait pas à une bouteille jetée dans un océan d’indifférence diplomatique. Mais en 2025, face à Gaza, même les cris les plus limpides de Saskia Kluit, rapporteure de l’APCE, semblent se dissoudre dans le brouillard de la realpolitik.

Madame Kluit a eu l’audace – que dis-je, l’impudence ! – de nommer les choses , blocus total, confinement, punitions collectives, nettoyage ethnique, génocide. Bref, un petit lexique du désastre humanitaire à l’usage des États membres qui préfèrent ne pas trop lire les rapports pour éviter d’avoir à en discuter sérieusement.

Il faut dire qu’à force de voir des enfants mourir en direct sur nos écrans, le téléspectateur occidental moyen est devenu expert en zapping émotionnel. Gaza ? Ah oui, c’est ce petit bout de terre que l’on bombarde régulièrement pour des raisons de “sécurité”. Les vivres ne passent plus ? Les hôpitaux s’effondrent ? La nourriture est une denrée rare ? Bah, c’est loin tout ça, et puis, ce n’est pas comme si c’était la première fois.

Et pourtant, Mme Kluit nous rappelle que le droit international humanitaire, ce n’est pas un poème poussiéreux de juristes idéalistes. C’est un engagement. Une obligation. Une ligne rouge. Mais que vaut une ligne rouge face à la realpolitik, surtout quand les crayons sont tenus par ceux-là mêmes qui bombardent le papier ?

La rapporteure ose une suggestion révolutionnaire , que l’aide humanitaire soit livrée, sans conditions. Qu’on cesse de punir collectivement. Qu’on n’expulse pas un peuple entier. Quelle provocation ! Presque aussi choquante que de demander un cessez-le-feu — cette hérésie pacifiste tant moquée par les stratèges en cravate.

Bien sûr, elle exhorte les États membres à “agir”, à “dire la vérité”, à “faire respecter les conventions de Genève”. Mais dans le théâtre international, ces verbes sont trop souvent au conditionnel, coincés entre deux déclarations de “préoccupation” et un tweet de compassion en 280 caractères.

Car soyons honnêtes ,  le droit international, aujourd’hui, est surtout un outil qu’on brandit contre les faibles et qu’on range prudemment face aux puissants. Gaza n’est plus un scandale. C’est une habitude. Une tâche permanente sur la conscience collective que l’on préfère ignorer plutôt que laver.

Et les enfants ? Ah, les enfants… Ils n’ont pas d’avenir à Gaza, nous dit-on. Mais surtout, ils n’ont pas d’audience. Pas de lobby. Pas de hashtag qui tienne plus de 24 heures. Ils sont nés du mauvais côté des murs et des cartes, là où les bombes pleuvent plus souvent que la pluie.

Madame Kluit, dans sa sincérité troublante, nous tend un miroir. Ce que nous y voyons n’est pas seulement le reflet d’un monde injuste, mais celui d’un monde qui s’est habitué à l’injustice. Et tant que ce miroir n’éclatera pas en mille éclats de honte, Gaza restera ce qu’elle est devenue , un trou noir moral dans l’Univers des droits humains.

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