Bart De Wever et la CEDH : Quand l’État de droit devient une variable d’ajustement politique

Intisar Azmizam

Il paraît que la meilleure défense, c’est l’attaque. Et visiblement, Bart De Wever a décidé de tester cette stratégie version “haut vol diplomatique”, en cosignant avec huit autres dirigeants européens une lettre qui flirte dangereusement avec la remise en cause de l’une des dernières digues morales de notre continent : la Cour européenne des droits de l’homme.

Ce courrier, qui aurait pu passer pour un énième coup de com’ pré-électoral, s’avère être une petite bombe institutionnelle. Signé, entre autres, par Giorgia Meloni – la caution post-fasciste du casting – et Donald Tusk – reconverti en centriste nerveux, le texte s’en prend frontalement à l’interprétation “gênante” que fait la CEDH des droits fondamentaux. Oui, car apparemment, respecter les droits humains nuit désormais à la “gestion souveraine de l’immigration irrégulière”. Quelle audace.

Le PS, fidèle à son indignation calibrée, dénonce une attaque “inédite” contre l’État de droit. Il est vrai qu’on avait déjà vu des Premiers ministres remettre en cause l’ordre judiciaire international – Netanyahu vous salue bien – mais s’en prendre à la CEDH, c’est franchir un cap. Désormais, il ne s’agit plus de critiquer un jugement isolé, mais bien d’insinuer que les juges européens nuisent à l’efficacité des démocraties nationales. Le tout, bien sûr, au nom de la sécurité. Une belle manière de maquiller un glissement autoritaire sous un vernis de rationalité administrative.

Du côté des Engagés, on tente de calmer le jeu. Maxime Prévot, dans son rôle de ministre des Affaires étrangères en chef pompier, nous explique que cette lettre ne vise qu’un groupe très restreint : les migrants en situation irrégulière ayant un CV criminel bien fourni. Dormez tranquilles, braves gens, l’État de droit reste intact, promis juré, c’est juste une “adaptation ciblée”. On appelle ça du profilage juridique sélectif. Une innovation 100 % belge.

Et puis, n’oublions pas l’argument massue : “les Danois socialistes l’ont signé aussi !” Ah, le bon vieux “tout le monde le fait” des cours de récréation, recyclé pour justifier une dérive politique. Si même les sociaux-démocrates s’y mettent, c’est que ce n’est plus si grave, n’est-ce pas ?

Mais à force de banaliser les coups de canif dans le contrat démocratique, on finit par déchirer le tissu même de nos institutions. Aujourd’hui, c’est la CEDH qu’on attaque. Demain, ce sera qui ? Le Conseil de l’Europe ? La Cour de justice de l’UE ? La Constitution belge, tant qu’on y est ?

Rappelons quand même que l’État de droit, ce n’est pas un buffet à volonté dans lequel on pioche selon l’humeur électorale. On ne peut pas à la fois exiger plus de sécurité, plus de justice, plus d’ordre… et s’offusquer lorsque les juges rappellent que les droits fondamentaux ne sont pas négociables.

M. De Wever voulait visiblement faire un coup politique. Il a surtout signé un manifeste inquiétant : celui d’une droite européenne qui regarde de plus en plus à l’extrême droite, et de moins en moins vers les principes fondateurs de l’Europe.

Et pendant ce temps-là, la démocratie, elle, retient son souffle.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.