Mohammed VI, chef d’orchestre d’un monde arabe qui joue toujours faux

Soumia El Alki

Parfois, au milieu du brouhaha diplomatique arabe, un discours s’élève avec une clarté presque indécente. Celui du roi Mohammed VI, lu d’une voix posée par son ministre des Affaires étrangères lors du dernier sommet de la Ligue arabe, en est l’illustration parfaite. Il faut dire que, dans un monde où l’on confond souvent « position de principe » et « posture de circonstance », le Maroc semble s’être offert le luxe rare d’une ligne diplomatique cohérente. Et surtout, audible.

Un roi, un micro, et des vérités qui piquent

Pas question ici de fanfaronnade géopolitique ou de joutes verbales stériles. Le discours royal n’est ni un prêche moralisateur ni un déni des réalités. C’est un exercice de lucidité diplomatique : défendre la Palestine sans sombrer dans les slogans creux, parler de réforme de la Ligue arabe sans en faire une chimère, proposer un modèle économique arabe intégré sans agiter la baguette magique du panarabisme romantique.

Le roi n’a pas mâché ses mots : pour que la paix revienne au Proche-Orient, il faut d’abord un cessez-le-feu, ensuite un vrai dialogue politique, et surtout un respect sans condition du droit international. En somme : pas de paix sans justice, pas de justice sans courage, et pas de courage sans clarté. À Gaza, on meurt par balles, à Bruxelles, on débat sur des virgules. Le contraste est cruel.

La diplomatie marocaine, ce sport de précision

Loin de la diplomatie de façade pratiquée ailleurs — souvent entre deux pauses café et une déclaration insipide —, le Maroc revendique une approche qui conjugue réalisme stratégique et fidélité morale. Oui, le royaume a rouvert son ambassade à Damas. Non, ce n’est pas pour faire joli ou flatter les nostalgies baathistes. C’est pour dire aux Syriens : la page peut être tournée, mais pas sans en lire chaque ligne.

C’est là que le génie discret de la diplomatie marocaine opère : faire du droit international une boussole, et non un accessoire de décoration. Défendre les intérêts nationaux, certes, mais sans trahir les principes. En clair, ni neutralité hypocrite, ni alignement aveugle. Une posture rare, surtout quand les grandes capitales du monde arabe s’épuisent à jongler entre allégeances, contradictions et silences gênés.

L’Union du Maghreb Arabe, ce dinosaure fossilisé

Au passage, le souverain n’a pas manqué de rappeler que l’Union du Maghreb Arabe, censée être un levier de coopération régionale, végète toujours dans le coma diplomatique. Pourquoi ? La réponse tient en un mot : Alger. Tant que le régime algérien continuera à confondre leadership régional avec obstruction systématique, le Maghreb restera ce beau rêve suspendu entre nostalgie et frustration. Pendant ce temps, les peuples trinquent à la frontière fermée.

L’art de dire les choses sans gifler personne… ou presque

Mohammed VI a l’art de pointer du doigt sans en avoir l’air. Quand il évoque les slogans dangereux qui sapent l’image de causes justes, il vise les pyromanes qui, à coups de radicalité surjouée, desservent la Palestine plus qu’ils ne la servent. Quand il insiste sur l’importance du cadre onusien, il rappelle à ceux qui préfèrent les alliances de circonstance que la légalité internationale n’est pas une option, mais une obligation.

Et quand il tend la main à la réforme de la Ligue arabe, il le fait sans verser dans le wishful thinking. Il sait que pour faire avancer ce dinosaure bureaucratique, il ne suffit pas de lui injecter des discours fleuris. Il faut des outils, de la volonté et, surtout, une vision. Or, aujourd’hui, cette vision, c’est Rabat qui la formule — pendant que d’autres capitales s’écharpent sur la météo de l’indignation.

Un discours, trois messages, mille silences brisés

Le discours du roi Mohammed VI, au fond, en dit long par ce qu’il dit — et plus encore par ce qu’il sous-entend. Il dit : le Maroc est un acteur sérieux. Il répète : la solidarité ne s’improvise pas, elle se structure. Il martèle : le leadership ne se décrète pas, il se mérite. Et surtout, il démontre qu’au milieu des slogans essoufflés et des déclarations en série, il reste possible de parler au monde arabe avec lucidité, responsabilité, et même un soupçon de dignité.

Mais attention : dans un monde arabe habitué aux effets d’annonce et aux sommets-sandwichs, ce genre de discours pourrait presque paraître révolutionnaire.

Et si, pour une fois, on écoutait vraiment ?

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