Quand l’État devient une maison de retraite : Tebboune recycle ses vieux camarades pour diriger le pays

Bouchaib El Bazi

À défaut de renouveler la classe politique, le président algérien Abdelmadjid Tebboune préfère fouiller dans son carnet d’adresses des années 60. Résultat : son ancien camarade de promo à l’École nationale d’administration, Azouz Nasri, 80 ans, a été catapulté à la tête du Conseil de la nation, deuxième personnage de l’État, en remplacement du doyen Salah Goudjil, 94 ans, écarté non pas par manque d’enthousiasme, mais par excès d’articles constitutionnels.

Le vote, mené tambour battant par une majorité docile, a laissé une grande partie des Algériens entre le rire jaune et le soupir amer. Car dans un pays où les jeunes fuient le chômage à la nage, ce sont les octogénaires qui grimpent, sans effort, les marches du pouvoir.

La république du recyclage

Azouz Nasri n’est pas un inconnu dans les couloirs de la justice : ancien président de la Cour suprême, ancien membre du Conseil constitutionnel, il a passé sa vie à rédiger des arrêts plus qu’à faire des discours. Mais en politique, son nom n’a jamais vraiment pesé. Même sa tentative de se glisser dans un parti d’opposition (celui d’Ali Benflis) s’est soldée par un retrait discret.

Rappelé en 2022 par son ancien copain de promo, Tebboune, pour siéger dans le fameux “tiers présidentiel”, Nasri a donc patiemment attendu que le fauteuil de Goudjil se libère pour s’y installer, à peine dépoussiéré.

Les internautes, eux, n’ont pas attendu pour allumer les réseaux sociaux : “Maison de retraite ou chambre haute ?”, “Rien ne sent plus fort que les couches dans cette institution”, ou encore : “Le flambeau passe… mais à l’unité gériatrique”. L’humour, dernier refuge des peuples fatigués.

Langue morte et discours enterré

Mais le vrai feu d’artifice est venu du discours inaugural. Azouz Nasri, micro en main, a tenté de lire un texte en arabe classique… avec les résultats que l’on imagine. Grammaire assassinée, syntaxe vacillante, souffle court : la performance a immédiatement déclenché une avalanche de moqueries en ligne, certains y voyant le symbole parfait de la décomposition du personnel politique.

Une nomination… stratégique ?

Derrière l’anecdote, une réalité plus sérieuse se profile. Selon l’article 102 de la Constitution algérienne, c’est le président du Conseil de la nation qui assure l’intérim en cas de vacance à la présidence. Traduction : Tebboune place un homme de confiance — non un homme du peuple — au cœur du dispositif institutionnel, comme on s’assure d’un parachute bien plié.

Ce n’est pas la première fois que le président opte pour la loyauté personnelle au détriment de la légitimité politique. Depuis son arrivée au pouvoir — ou plutôt sa désignation par les vrais maîtres du jeu — Tebboune gouverne avec des technocrates dociles et des figures de confiance, souvent issues de la vieille garde administrative.

La fidélité prime sur la compétence

Cette nomination n’est pas seulement un hommage à l’amitié. Elle illustre un mode de gouvernance : l’Algérie est dirigée par un cercle fermé où le critère premier n’est ni le vote populaire, ni l’innovation politique, mais la loyauté au chef. Exit les jeunes talents, les partis dynamiques, la société civile. Place aux fidèles, aux silencieux, aux expérimentés du protocole.

Pendant ce temps, la majorité silencieuse attend — toujours — une réforme réelle, des perspectives, un souffle nouveau. Elle voit au sommet de l’État les mêmes visages, avec dix ou vingt ans de plus. Elle lit des discours mal prononcés, entend des promesses recyclées, et regarde les avions décoller, remplis de ceux qui préfèrent tenter leur chance ailleurs.

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