Tunnel de la honte : quand ltélé algérienne creuse jusqu’au fond du ridicule

Bouchaib El Bazi

C’est un scoop comme seule la télévision algérienne peut en offrir : un tunnel secret, digne d’un scénario hollywoodien, aurait été creusé par le redoutable “Makhzen” pour inonder l’Algérie de kif, déstabiliser la patrie et, qui sait, renverser l’ordre mondial depuis Bab El Assa, wilaya de Tlemcen. Rien que ça. Le tout, bien entendu, prouvé par des images irréfutables, tournées par des reporters intrépides… espagnols.

Oui, car derrière l’épopée souterraine vantée par Canal Algérie, il ne s’agit ni plus ni moins que de la récupération (et falsification) d’un reportage diffusé en Espagne en février 2025. On y voit un agent de la Guardia Civil, combinaison estampillée dans le dos, s’aventurer dans un tunnel reliant Sebta au Maroc, soupçonné d’avoir servi à un trafic transfrontalier. Un tunnel, donc, qui n’a jamais eu l’audace géographique de s’étendre jusqu’à Tlemcen, sauf dans les studios algériens, où la carte du monde semble avoir été redessinée par un stagiaire en pleine crise de panique.

Mais à Canal Algérie, on ne s’embarrasse pas de détails. L’image, c’est l’image. Et tant pis si la réalité fait tache : quelques montages vidéo, une voix off grave parlant de “trafic massif”, un soupçon de “complot marocain”, et le tour est joué. On parle ici d’un tunnel “hautement sophistiqué”, avec “une planification avancée pour contourner les radars algériens” — comme si la contrebande se faisait désormais en suivant les normes ISO.

Le plus savoureux ? La chaîne cite sans ciller ses “sources bien informées” (probablement un ancien concierge de la gendarmerie ou l’inventeur du tunnel lui-même), tout en s’inspirant ouvertement d’un tunnel espagnol identifié, localisé, filmé, et publié… deux mois plus tôt dans El País.

Mais à force de vouloir faire peur, c’est surtout le ridicule qui finit par prendre le dessus. Cette affaire n’est pas seulement grotesque, elle est symptomatique d’un régime à court d’imagination et en panne de crédibilité. Quand l’argument politique s’effondre, on creuse. Littéralement.

À ce rythme, il ne manque plus qu’un épisode spécial où Canal Algérie nous révèle que le Makhzen a planté un ascenseur invisible entre Rabat et El Mouradia pour espionner les réunions du gouvernement. Avec un peu de chance, on trouvera encore une vidéo espagnole pour illustrer le propos.

Dans un pays où les médias publics ont été réduits à de simples porte-voix d’un pouvoir aux abois, l’éthique journalistique a laissé place à la fiction d’État. Le vrai scoop, c’est qu’à force de vouloir décrédibiliser le Maroc, ce sont les institutions algériennes elles-mêmes qui se couvrent de honte.

Il faut bien le reconnaître : Abdelmadjid Tebboune et sa télévision nationale forment un duo comique involontaire. L’un ment sans trembler, l’autre illustre avec des archives volées. À ce stade, ce n’est plus de l’information, c’est du théâtre de boulevard. Et encore, Molière aurait refusé ce scénario pour excès d’absurdité.

Mais rassurons-nous : tant qu’il y aura des tunnels imaginaires, il y aura toujours de quoi combler le vide abyssal de la propagande.

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