Kaja Kallas, l’Europe et le mirage saharien : la “rasd”, ce fantôme diplomatique qu’on croise sans jamais l’inviter
Bouchaib El Bazi
Bruxelles — L’Union européenne est parfois comme cette tante diplomate qui organise des dîners de famille : elle dresse la table, envoie les cartons, et espère que personne ne viendra avec un invité surprise. Mais voilà, l’Union africaine, elle, c’est la cousine un peu libre, un peu fière, qui décide de ramener “rasd” au festin, même si personne ne l’a vraiment conviée.
Kaja Kallas, haute représentante et porte-voix des affaires étrangères européennes — au sourire glacial et à la précision chirurgicale — a dû sortir vendredi son plus beau scalpel diplomatique pour rappeler ce que Bruxelles répète depuis des lustres : « Ni l’UE, ni aucun de ses États membres ne reconnaissent la rasd. » Voilà, c’est dit, redit, et désormais gravé dans le marbre européen… entre deux croissants servis lors des réunions matinales à Bruxelles.
Mais attention, pas question de vexer l’Union africaine, avec qui l’on célèbre cette année 25 ans de partenariat. C’est dire si la relation commence à ressembler à un vieux couple : on ne partage plus vraiment les mêmes visions, mais on continue à faire chambre commune pour la galerie.
La fameuse 3e réunion ministérielle UE-UA du 21 mai prochain promet donc une ambiance feutrée, mais électrique. D’un côté, l’Europe qui veut parler “paix, sécurité et gouvernance”, comme si tout cela tenait dans une même valise. De l’autre, l’Afrique, qui veut parler “mobilité”, comprendre “visa Schengen”. Et au milieu, l’ombre persistante d’une entité autoproclamée qui fait plus de bruit par son nom que par sa diplomatie : la rasd.
Madame Kallas a donc précisé : si ce fantôme diplomatique devait se faufiler dans les travées de la réunion, ce serait “par la porte africaine”, mais qu’il ne faudra pas y voir une reconnaissance officielle, encore moins un signe d’affection. Une présence tolérée comme un invité au mariage qu’on n’a pas osé rayer de la liste pour ne pas fâcher belle-maman.
Il faut dire que dans ce bal diplomatique, chaque mot est chorégraphié. Une présence ne vaut pas reconnaissance, un siège ne vaut pas légitimité, et un badge d’accès ne fait pas une ambassade.
En somme, Bruxelles poursuit sa valse à trois temps : courtoisie, fermeté, et flou artistique. Et pendant ce temps, les vraies questions du partenariat UE-Afrique restent posées : investissements, migrations, stabilité… Des sujets lourds, qu’on tente de faire passer avec un buffet bien garni et des communiqués bien polis.
Quant à la rasd, elle reste, pour l’Europe, ce concept diplomatique quantique : à la fois là et pas là. Une entité qu’on ne reconnaît pas, mais qu’on ne peut pas tout à fait ignorer. Bref, un peu comme un ex gênant à une réunion de famille : on fait comme si de rien n’était, tout en espérant qu’il ne prenne pas le micro.