Bruxelles : casseroles, Nakba et diplomatie en sourdine

Bouchaib El Bazi

Entre 20.000 (selon la police, toujours équipée d’une calculette en panne) et 80.000 manifestants (selon les organisateurs, équipés d’une loupe militante) ont défilé ce dimanche dans les rues de Bruxelles, transformant le boulevard Simon Bolivar en tambour de la colère populaire. Objectif : réclamer un cessez-le-feu immédiat en Palestine, et rappeler aux oreilles européennes – si tant est qu’elles soient encore connectées à leur fonction d’écoute – qu’un peuple meurt sous les bombes pendant qu’on débat, à Bruxelles, du grammage réglementaire des sachets en plastique.

Le cortège, démarré à 15h après une série de discours où indignation rimait avec obligation morale, s’est étiré vers la gare du Midi, longeant le canal de Bruxelles, symbole parfait d’un engagement européen souvent aussi fluide qu’un canal en travaux. Mais cette fois, l’eau a laissé place au bruit : les manifestants étaient invités à participer à un “concert de casseroles”, histoire de réveiller les consciences endormies… ou au moins couvrir le silence assourdissant des chancelleries occidentales.

Le choix du 12 mai n’était pas anodin : la mobilisation coïncide avec les 77 ans de la Nakba – ce mot que certains responsables politiques peinent encore à prononcer sans avaler de travers leur café diplomatique. Une “catastrophe”, oui, mais qui dure depuis 1948. Et qui, pour certains, ne semble poser problème que lorsqu’elle menace l’ordre des marchés boursiers, pas celui de la justice internationale.

Les revendications ? Claires comme de l’eau de roche – à condition de ne pas regarder dans le canal : embargo militaire total envers Israël, suspension de l’accord d’association UE-Israël, et respect des obligations découlant de l’avis rendu par la Cour internationale de justice le 19 juillet 2024. Rien de farfelu, juste du droit international basique – ce concept parfois oublié dès qu’il s’applique à autre chose qu’aux petits États sans lobby.

Les organisateurs ont souligné avec une ironie douloureuse le paradoxe belge : un gouvernement qui déclare soutenir la justice… mais reste muet comme une huître diplomatique face aux mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale contre des dirigeants israéliens soupçonnés, excusez du peu, de crimes de guerre et usage de la famine comme arme. Pendant ce temps, on discute en commission de l’importance du dialogue – à défaut d’actions.

Dans la rue, l’union faisait le bruit : Amnesty International, la FGTB, la CSC, l’Union des progressistes juifs de Belgique, et des dizaines d’autres organisations criaient ensemble ce que trop de capitales préfèrent murmurer : la complicité passive, ça fait désordre sur les jolis communiqués officiels.

La Belgique, pays du compromis institutionnel, semble aujourd’hui coincée entre son image de patrie des droits humains et sa peur panique de froisser des partenaires stratégiques. Pendant ce temps, à Gaza, ce ne sont pas les casseroles qu’on entend, mais les bombes.

Et si l’Europe entend toujours quelque chose, elle ferait bien de tendre l’oreille : ce bruit sourd qui monte des pavés bruxellois pourrait bien devenir un grondement de fond. Un grondement qu’aucun silence diplomatique, aussi habile soit-il, ne pourra éternellement couvrir.

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