Quand dire la vérité devient un acte de trahison

Bouchaib El Bazi

En Algérie, il n’est pas nécessaire d’espionner une base militaire ou de financer un groupe clandestin pour être traité de traître. Il suffit de prononcer une phrase, calme et documentée : « L’Algérie n’a pas de véritable histoire. »

C’est ce qu’a fait récemment l’historien algérien Mohamed El Amine Belghith, invité sur Sky News Arabia. L’homme n’est ni marocain, ni affilié au Makhzen, ni expert en thé au Sahara occidental. Il est simplement professeur d’histoire, formé et diplômé dans son propre pays, et il a osé dire tout haut ce que d’autres écrivains et penseurs algériens – Boudjedra, Yasmina Khadra, Kamel Daoud, Salah-Eddine Cherfi, Boualem Sansal – avaient déjà exprimé : l’Algérie souffre d’un déficit de récit historique cohérent.

Mais dans l’Algérie officielle, la vérité n’est jamais la bienvenue. Celui qui la dit devient un ennemi. Celui qui la maquille devient « chercheur dans un centre d’études stratégiques ». Plus la fiction est grossière, plus elle est applaudie. Plus l’analyse est rigoureuse, plus elle est suspecte.

Belghith a simplement dit que « nous avons commencé en 1830 ». Une phrase courte, mais lourde de sens. Car ce n’est pas là la naissance d’un État, mais bien le début d’une colonisation. Autrement dit : notre point de départ est une blessure. Et malgré cela, certains veulent en faire une épopée, l’écrire à l’encre dorée, la graver dans le marbre comme une victoire.

Là-dessus, les médias nationaux sont entrés en transe. Ils ont crié à la conspiration mondiale, à la tentative de démolition identitaire, au sabotage culturel orchestré depuis l’étranger. Un simple plateau télé s’est transformé en procès politique, et l’historien s’est retrouvé jugé à la barre du patriotisme émotionnel.

Soyons clairs : l’Algérie a une mémoire, oui. Mais la mémoire n’est pas toujours de l’Histoire. La première se sélectionne, se filtre, se romance. La seconde se documente, se vérifie, se confronte. Et entre les deux, celui qui choisit la vérité historique est souvent seul, exposé… et accusé.

La vraie question n’est pas de savoir si l’Algérie a un passé glorieux, mais si elle a le courage d’en parler sans le travestir. Et à voir la réaction collective à une simple déclaration factuelle, on comprend que dans certaines républiques, le plus grand crime reste encore de dire ce que tout le monde sait, mais que personne n’ose entendre.

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