Dans un pays où les leaders naissent des récits de marches et des larmes des campagnes électorales, Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement, revient nous haranguer comme il y a dix ans, avec le même ton théâtral, les mêmes slogans populistes, mais avec un regard qui trahit ce que les mots ne peuvent cacher : “Aidez-moi à revenir… La lumière me manque !”
M. Benkirane, qui aime se présenter comme un militant ascète, a traité les Marocains qui n’ont pas applaudi son retour et refusé de rejoindre son troupeau de “microbes” et “d’ânes”. Des propos qui, s’ils avaient été tenus par un autre responsable, auraient conduit à des excuses, une démission, voire une sanction. Mais lui, non. Il se considère au-dessus de la critique, convaincu que “la bonne intention prime sur la politique”.
Avant qu’il ne nous rappelle l’obligation de soutenir la Palestine, de haïr Akhannouch, ou de mener un djihad contre les médias indépendants, prenons un instant pour feuilleter son carnet de souvenirs… ou plutôt, celui de ses factures.
N’est-ce pas lui qui a libéralisé les prix des carburants, une nuit sans garde-fou ni plafond, promettant une aide directe qui ne viendra jamais ? Il a ouvert les marchés tout en fermant les poches des citoyens, offrant à Akhannouch des coffres pleins en guise de cadeau d’anniversaire, payé au prix du pain et de la justice sociale. Résultat : une fortune colossale pour son ami d’hier et d’aujourd’hui, et une population appauvrie lentement mais sûrement.
N’est-ce pas encore lui qui a permis à Akhannouch de prendre la main sur le Fonds de développement rural, véritable trésor utilisé par la suite pour acheter des fidélités électorales comme on distribue des prospectus religieux pendant le pèlerinage politique ? Et souvenez-vous de Taoufik Bouachrine, le journaliste qui le soutenait dans les moments difficiles. C’est Benkirane lui-même qui autorisa Akhannouch à le poursuivre en justice. Voilà comment le “leader” remercie ses défenseurs : non pas en protégeant la presse libre, mais en l’abandonnant au premier combat.
Benkirane, qui s’était hissé sur la vague du 20 février en chantant les louanges de la rue, a fini par se laver les mains de ce mouvement et applaudir la répression, dès qu’il a compris que le pouvoir n’offre pas le fauteuil gratuitement, mais en échange d’un silence bien rentable.
Et pour ne pas réécrire l’histoire, rappelons simplement que celui qui promettait de lutter contre les privilèges a accepté, à la fin de son mandat, un “cadeau royal” de 70 000 dirhams par mois. Oui, lui qui dénonçait les “Grymats” et prônait l’austérité roule désormais en voiture de fonction, perçoit une retraite équivalente à celle de vingt citoyens réunis, et appelle cela un “cadeau”.
Aujourd’hui, Benkirane revient, déguisé en “leader réveillé d’un long sommeil”, nous appelant à nouveau à combattre Akhannouch. Mais la vérité ? Benkirane ne s’oppose pas à Akhannouch ; il joue juste le rôle du “cheikh fâché contre son élève devenu trop brillant”.
Mais le peuple, celui-là même qui l’a essayé une fois, ne tombera pas deux fois dans le même piège, aussi relooké soit-il.
Alors, M. Benkirane, celui qui a créé le monstre n’a pas le droit de crier contre ses crocs. Celui qui a trahi la rue ne peut parler de loyauté. Celui qui a servi le pouvoir ne peut se faire passer pour un révolutionnaire. Le peuple n’est plus dupe. Il n’oublie pas. Cette fois, la mémoire est plus vive que celle d’un poisson rouge.